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mardi, 21 novembre 2017

Aristide Leucate parle de Carl Schmitt

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dimanche, 19 novembre 2017

Terrorisme: l’impossible définition

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Terrorisme: l’impossible définition

par François-Bernard Huyghe
Ex: http://www.huyghe.fr

Quiconque a assisté à un colloque sur le terrorisme connaît la scène. Au moment des questions, quelqu'un se lève pour en dénoncer les causes globales - misère, inégalité, intolérance, exclusion, etc. -. Un autre ajoute aussitôt qu'il faudrait s'accorder sur une vraie définition du terrorisme.

Une étude presque trentenaire comptabilisait 202 de ces définitions. Celle que nous ajouterions (plutôt "technique" : la pratique de l'attentat politique, symbolique et spectaculaire) ne clorait pas le débat. Mais, si nous ne sommes guère partisans du substantif "terrorisme", l'adjectif (terroriste) peut légitimement distinguer un groupe, une méthode, un acteur, etc.

Faute de consensus sur la terminologie exacte, il importe surtout de savoir ce qui ne relève pas du terrorisme, et surtout ce qui décide de son succès, sa durée ou sa disparition. Car, après-tout l'action terroriste, moyen au service d'une fin, recherche une victoire au moins symbolique.

Métamorphoses terroristes

Certes, l'assassinat politique, la révolte. le régicide et le tyrannicide (déjà approuvé par Platon) ont quelque siècles, comme le massacre d'innocents, les tueries systématiques et, plus généralement, toute horreur pouvant provoquer l'épouvante dans l'autre camp (terror, qui littéralement fait trembler). Mais, il faut attendre la Terreur avec majuscule pour que la terreur avec minuscule gagne sa désinence en "isme". Le "terrorisme" (tout comme "propagande" au sens politique) apparaît dans les dictionnaires, d'abord français en 1793, en référence à la terreur révolutionnaire d'État, celle qui fait trembler les opposants, celle qui coupe les têtes que la République n'a pu gagner. C'est la terreur "d'en haut", pratiquée par un appareil répressif public. Bien plus tardivement apparaît un terrorisme "d'en bas", ou plutôt des terrorismes, violence des individus ou de petits groupes contre le pouvoir, d'abord en Russie à la fin du XIX° siècle (le terme s'applique aux attentats d'abord dits nihilistes ou populistes), avant que le mot s'impose en français, entre deux guerres et ne remplace la notion des "crimes anarchistes".

Le terrorisme "d'en bas", le seul dont nous traiterons ici, celui du révolté, du révolutionnaire et bientôt du séparatiste ou indépendantiste, reflète d'abord un manque et une faiblesse : il utilise dans une première phase des pistolets et des bombes, en jouant la clandestinité et la surprise, faute de pouvoir aligner des foules et des mitrailleuses dans la rue. Il traduit aussi une impatience - frapper les représentants de la tyrannie avant que les masses aient développé une conscience et se soient révoltées, et, comme le reprocheront beaucoup les bolcheviks à leurs concurrents socialistes révolutionnaires, sans attendre que les "conditions objectives" soient réunies.

Au cours de la seconde guerre mondiale - où les résistants sont qualifiés de terroristes par les occupants- puis juste après, lorsque les chefs des mouvements anticolonialistes commencent par l'action armée clandestine avant que leurs chefs accèdent parfois à la la présidence d'un nouveau pays indépendant, la question se pose autrement. De Gaulle ou Mandela furent en leur temps considérés comme chefs terroristes. Yasser Arafat et Menahem Begin prix Nobel de la Paix furent assimilés à des poseurs de bombes avant de devenir des symboles de tolérance et de dialogue. Hier criminel, demain allié, admis dans les couloirs des Nations unies, l'ex terroriste mérite un traitement à part.

Il est tentant de distinguer en fonction de la cause ; il y aurait des terroristes criminels par essence d'une part et d'autre part d'authentiques insurgés, résistants et combattants de la liberté - contraints de lutter contre l'oppression et n'ayant d'autre moyen de protestation que les armes ; ils le feraient donc par nécessité et pour rétablir la démocratie. Ce distinguo est fort pratique, car il permet de faire passer une organisation de la catégorie criminelle à celle des partisans ou des freedom fighters, comme l'UCK kosovare lorsque l'Otan commença à bombarder la Serbie de Milosevic.

Mais si l'on met de côté la question du jugement moral ou politique sur l'acte terroriste, il faut bien constater qu'il sert les causes les plus contradictoires. Le terrorisme (attentat) se pratique pour détruire l'État (anarchistes, nihilistes...), pour se séparer de l'État (nationalistes, indépendantistes ou anticolonialistes), pour contraindre l'État (à libérer un prisonnier, à cesser d'aider un pays...), pour le provoquer par le chaos (comme les attentats "aveugles" des années de plomb italiennes que l'on nomme là-bas "strage di Stato", massacres d'Etat) mais aussi pour des justifications liées à l'écologie, au racisme, à la défense des animaux, à l'attente de l'Apocalypse... Et, bien sûr, au règne de Dieu.

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Outre le critère de finalité, beaucoup insistent sur le fait que l'acte terroriste touche des victimes "innocentes" ce qui implique a contrario que frapper des coupables relèverait de la légitime révolte. Mais qui est coupable de quoi et qui en juge ? Pour certains, même un soldat est une cible illégitime dès lors qu'il n'est pas en armes ou prêt au combat. Pour d'autres une femme ou enfant, un civil qui passe est "coupable" pour peu qu'il paie des impôts, puisse devenir ou engendrer un jour un soldat : il participe du système oppressif ou impie. On est toujours le coupable de quelqu'un et le complice de quelque chose : "aucun bourgeois n'est innocent" disait l'anarchiste Henry en lançant sa bombe sur le café Terminus. Tous les non jihadistes sont criminels, rappelle le discours de l'État islamique. La question de la juste fin juste renvoie à celle de la force juste.

Violences, visions et stratégies

Ici intervient un problème de perspective. Du point de vue de l'État ou des organisations internationales, le terroriste lance une attaque criminelle : il vise en cercles concentriques contre le gouvernement, les autorités et les forces de l'ordre et les fonctionnaires, les élites, les représentant de la classe, de l'ethnie, de la religion au pouvoir, les partisans de l'ordre établi, voire par extensions contre un citoyen lambda. Et il le fait de son initiative, sans être mandaté par une autorité élue ou sans représenter un peuple souverain (comme un armée, une police, une résistance...), il agit pour paniquer et contraindre.

Mais pour le terroriste, c'est la violence de l'autre qui est première : il ne ferait que riposter à une domination, à une occupation à une persécution. L'action terroriste est un crime qui se pense comme châtiment : elle s'adresse toujours à un État, ou à un groupe dénoncé comme agresseur, si bien que c'est celui qui réprime qui serait le "vrai terroriste". À la légalité formelle - la loi qui interdit de poser des bombes - le terroriste oppose une légitimité supérieure : il se réclame de la Nation occupée, de la classe dominée ou de la religion pure, il est l'instrument d'une justice plus haute. Il punit et dit souvent exécuter une sentence ou constituer un tribunal (éventuellement "révolutionnaire"). Pas de mouvement terroriste qui ne prétende tirer sa légitimité d'une injustice, venger des victimes et parler au nom d'une communauté plus large que la communauté combattante : elle "représente" les patriotes, le pays réel, les prolétaires, les colonisés, l'Oumma... Les masses suivront : il faut leur faire comprendre.

Une troisième façon de délimiter le champ du terrorisme le situerait par rapport à d'autres formes de violence politique suivant des critères stratégiques :

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Ce n'est pas la guerre en ce sens que la partie dite terroriste au conflit n'a ni État, ni armée pour la faire, ni possibilité de signer une paix qui s'inscrirait dans l'Histoire. Cela n'empêche pas que l'on veuille parfois "faire la guerre" au terrorisme comme G.W. Bush et François Hollande. On a même vu des terroristes participer à des "négociations" ou réconciliations, mais précisément, à la seconde où ils s'assoient à la table, ils cessent d'être réputés terroristes et deviennent "les représentants de l'insurrection" ou "la partie adverse". De leur côté, les partisans de l'attentat aiment souvent se désigner comme armée révolutionnaire ou armée secrète, avant-garde armée, résistance armée, soldats de Dieu, etc. Ils sont fiers de pratiquer la "guerre du pauvre", celle des gens qui n'ont ni avions ni canons, ne sortent pas en uniforme. Mais, là encore, au moment où un mouvement dit terroriste commence à occuper des zones territoriales, à gérer un appareil administratif et à défiler avec des drapeaux, il a franchi le stade purement terroriste et ouvre celui de la guerre civile. Le califat qui bat monnaie et lève l'impôt n'est plus exactement un groupuscule sur son territoire. D'où, par exemple, l'embarras du gouvernement qui dit que nous sommes en guerre ou subissons des actes de guerre, qui les bombarde "chez eux", mais qui est incapable de nous dire comment faire la guerre en France : il n'y a ni envahisseurs en uniforme à repousser, ni, comme autrefois au Liban, de quartiers entiers occupés par des milices bien visibles. La guerre donne au citoyen le droit de tuer légitimement une ennemi "public" (et non à titre "privé"), mais qui en l'occurrence?

Ce n'est pas non plus la guérilla ou la guerre de partisan. La guérillero, "à la campagne" et harassant des soldats ou des autorités locales, ne fait pas -stratégiquement parlant- comme le terroriste qui passe de la clandestinité à l'action brusque, commet des attentats dans les villes, et vise davantage suivant le mot de Raymond Aron à un effet psychologique qu'à un effet militaire.

Ce n'est pas une guerre civile, celle qui suppose l'hostilité de tous contre tous au sein de la Cité ; c'est une méthodes d'avant-gardes qui, se prétendent plus conscientes que le peuple (ou que les minorités opprimés ou que la masse des musulmans). Ce n'est pas non plus l'émeute. Dresser des barricades n'est pas la même chose que poser une bombe.

Ce n'est pas un "simple" massacre, au moins aux États-Unis où l'on tend à appeler "massacre de masse" des tueries dont la motivation idéologique est évidente mais que l'on préfère dire "motivés par la haine" . Ainsi, lorsqu'un blanc tire sur des noirs dans une église à Charleston, ou lorsque qu'un noir tire sur des policiers à Dallas, pour "tuer des blancs", les autorités commencent par exclure la qualification terroriste au profit de l'acte "de haine". Rhétoriques d'évitement assez subtiles qui rappellent celle des commentaires expliquant en France que des gens qui tuent en criant "Allah Akbar" ne sont pas forcément terroristes puisqu'ils sont déséquilibrés (la preuve : ils tuent).

Tout ces distinctions byzantines s'éclairent si l'on songe que le même courant politique peut pratiquer simultanément ou successivement diverses formes de violence. Il théorise avant de terroriser. Ainsi Daech pratique à la fois la "vraie" guerre en Irak et en Syrie où il prétend avoir créé un État, anime ou inspire des mouvements d'insurrection et de guérilla dans le Sahel, au Mali, etc., envoie des commandos (comme celui du 13 novembre 2015) exécuter des opérations extérieures, encourage un terrorisme plus ou moins spontané en recommandant aux croyants de prendre des pierres et des couteaux ou des véhicules pour attaquer près de chez eux, etc. Le tout sous l'étiquette englobante de djihad. Dans un tout autre genre, et sans amalgame, un mouvement politique peut avoir, comme les indépendantistes basques un bras armé et une façade politique légale, etc. Bref le terrorisme se prête à des stratégies hybrides et changeantes. Cette forme de violence se veut provisoire et qui vise, paradoxalement, à sa propre disparition, en vertu du principe que ce n'est qu'une étape en attendant un vraie mobilisation des masses, la constitution d'une vraie armée, une vraie révolution...

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Action et message

De tout ce qui précède, il ressort qu'il n'y a pas un terrorisme en soi, ni comme doctrine (au sens où l'on parle du bouddhisme, du marxisme, de l'existentialisme...), ni comme système permanent (tel le capitalisme ou le protectionnisme). En revanche, il y a des stratégies, intégrant la terreur et servant des buts divergents : pas de terrorisme sans passage à l'acte et sans recherche d'un dommage grave, souvent létal, mais cette action reste de l'ordre des moyens.

Mais moyens de quoi ? Par analogie avec la guerre au sens de Clausewitz, c'est "un acte de violence dont l'objet est de contraindre l'adversaire à se plier à notre volonté" mais sans les appareils militaires. Des législations caractérisent le terrorisme par la coercition ou la contrainte qu'il cherche à exercer sur un peuple ou son gouvernement. Son message de revendication dit souvent : nous sommes l'organisation Untel, nous poursuivons tel objectif proche (élargissement d'un prisonnier politique, abandon de tel décret) ou lointain (comme une société parfaite), nous allons continuer jusqu'à ce que vous cessiez de nous bombarder ou de nous réprimer, jusqu'à ce que vous libériez nos camarades, jusqu'à ce que disparaisse votre système odieux, etc.

L'équation dommage / menace / résultat, ne doit pourtant pas occulter le principal : l'action terroriste vise à faire comprendre quelque chose (suivant la formule : poudre plus encre, tuerie de masse plus réseau social...), donc à symboliser un rapport de force. Il s'agit de convaincre pour vaincre. D'où un message terroriste à décrypter.
Il arrive, du reste, que des groupes se dispensent de revendication explicite (tel al Qaïda qui estimait que la destruction des Twin Towers était un acte plus éloquent que n'importe quel discours, tant sa dimension emblématique était évidente). D'autre part, ils ne s'adressent pas seulement à leurs adversaires et pas que pour proposer l'alternative "cédez ou ce sera pire".

Ils ont énormément à raconter et cherchent autant à séduire ceux qu'ils appellent à rejoindre leur camp qu'à affaiblir les forces matérielles et surtout morales de leurs ennemis. La notion de "propagande par le fait", la théâtralité du terrorisme comme spectacle ou la phrase "les terroristes ne veulent pas que beaucoup de gens meurent, ils veulent que beaucoup de gens regardent" reflètent cette réalité.

Tout acte terroriste est publicitaire en ce qu'il cherche à attirer une attention maximale, et symbolique parce que, quand il frappe un homme (ou éventuellement, un bâtiment, un monument, etc.), la cible touchée est sensée être représenter une idée plus vaste qu'elle-même. La victime est là comme signifiant d'un signifié détesté : un fonctionnaire pour l'État, un policier pour la Répression, un banquier pour le Capitalisme, un juif pour les crimes sionistes, les Twin Towers pour l'orgueil idolâtre de l'Amérique, un jeune qui assiste à un concert pour Paris capitale de l'iniquité, un contribuable pour le gouvernement qui bombarde le califat, un passant devant une mosquée pour les chiites hypocrites complices de l'Iran et ainsi de suite.

Quand part la balle ou explose la bombe, le terroriste a déjà trouvé sa récompense et son sens : il a exprimé qu'il vengeait un tort et témoigné devant l'histoire que des hommes se sont dressés contre la force et l'injustice.

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Dans un second temps, le spectacle terroriste gagne encore plus d'audience et d'impact par la réaction même de la cible. Les médias qu'il juge vendus au système ennemi mais sur qui il exerce un effet judo, le servent objectivement : ils amplifient l'écho de l'acte et avec lui le sentiment qu'a chacun de pouvoir être menacé demain. Ces médias sont obligés d'en expliquer les motivations, ils spéculent sur de futures attaques et augmentent l'effet d'attente. Quand aux autorités, elles peuvent elles-mêmes aggraver l'impact de l'attentat par des mesures d'exception, des déclarations alarmistes, en suscitant des réflexes de solidarité des populations visées. Et si elles se livrent à une répression indistincte, cela revient aux yeux des terroriste à révéler leur "vrai visage" et à obliger chacun à choisir son camp, le vieux cycle provocation répression solidarité.

Transmettre par la violence

Ce que le terroriste est en mesure communiquer dans l'espace et de transmettre dans le temps a un effet à plus long terme.

Il arrive qu'il possède ses propres médias, ses propres réseaux comme Daech avec ses revues multilingues, ses agences de presse, des chaînes de diffusion Web 2.0. De là, une nouvelle capacité de recruter, de donner l'exemple, de provoquer des contagions d'idées et d'action. La technique de communication est fondamentale : chaque phase de l'histoire du terrorisme correspond à un média dominant : presse à imprimer (celle des quotidiens, mais aussi celle que l'on cache dans une cave pour imprimer des brûlots), radio à l'époque des mouvements séparatistes ou anticolonialistes, télévision internationale à l'époque du terrorisme pro-palestinien et d'extrême-gauche, Internet avec le djihadisme moderne.
Les réseaux sociaux ont pris le relais pour permettre une communication descendante (les superproductions des professionnels du califat : scènes d'exécutions, du front ou de la vie utopique au califat de Cham), une communication frère-vers-frère ou sœur-vers-sœur pour le recrutement ou le retour d'expérience du pays de djihad, et une communication "remontante", y compris sous forme de l'attentat filmé, une sorte de selfie sanguinolent pour l'édification des "bons croyants",... Face à cela, les pays occidentaux, sensés avoir inventé la technologie "2.0" doivent se contenter de fermer des comptes qui seront aussitôt recréés avec légère modification. Ou alors, ils produisent des vidéos de contre-influence et de contre-radicalisation qui disent en substance la même chose que les journaux télévisés.

L'action terroriste est une action pour l'Histoire, Histoire qu'elle veut accélérer (en évitant des années d'attente par la violence), Histoire qu'elle veut rejouer ou dans laquelle elle veut s'inscrire. En ce sens, ceux qui recourent au terrorisme ont besoin de créer des mythes et des mémoires. Les victoires de Ravachol ou de la bande à Bonnot, ont été remportées dans la littérature ou le cinéma, celles de l'Ira sur les fresques des murs de Dublin et dans les cérémonies commémoratives. Il ne faudrait pas, le jour - quand même envisageable - où Daech aura perdu ses derniers bastions territoriaux et où ses chefs autant été atteints par les derniers drones - que le souvenir de de l'Etat islamique se perpétue à travers la prolifération des opérations jihadistes plus ou moins spontanées (pour venger un califat une nouvelle fois détruit par les mécréants). Mais il pourrait aussi perdurer à travers les mémoires numériques, mythifié et incontrôlable sur les réseaux que nous ne savons ni interrompre, ni contrôler.

La méthode terroriste ne sert guère à conquérir un territoire ni à infliger de grandes pertes à l'adversaire, manières traditionnelles d'atteindre la victoire, mais elle parvient à démoraliser, à délégitimer ou à diviser avec une remarquable économie de moyens. Comme rhétorique s'adressant aux masses elle a aussi d'un surprenant rapport coût/résultat : elle transforme les armes les moins sophistiquées en médias et les médias les plus high-tech tech en armes. Le terrorisme est hybride et changeant. Il combine violence pure et intention stratégique, ostentation des supplices qu'il administre, secret de leur préparation et séduction de l'idéal. Daech en est l'exemple le plus fou : il attire des dizaines de combattants en leur promettant qu'ils pourront sacrifier des mécréants et des "hypocrites" (musulmans non jihadistes), et puis mourir pour se retrouver au plus près d'Allah...

Plutôt qu'une définition politico-philosophique du terrorisme, nous avons besoin d'une compréhension de leur désir politique. Car nous sommes surtout incapables de comprendre des gens qui disent haïr notre démocratie, notre prospérité et notre tolérance au profit du salut de leur âme et de la conquête du monde.

jeudi, 16 novembre 2017

Un Front de la Tradition?...

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Un Front de la Tradition?...

Les éditions Ars Magna viennent de publier un recueil de textes d'Alexandre Douguine intitulé Le Front de la Tradition. Théoricien politique influent, un moment proche d'Edouard Limonov, Alexandre Douguine est la figure principale du mouvement eurasiste en Russie. Outre L'appel de l'Eurasie (Avatar, 2013), le texte d'une longue conversation entre lui et Alain de Benoist, plusieurs  de ses ouvrages ou recueils de ses textes sont déjà traduits en français comme La Quatrième théorie politique (Ars Magna, 2012), Pour une théorie du monde multipolaire (Ars Magna, 2013) ou Vladimir Poutine, le pour et le contre - Écrits eurasistes 2006-2016 (Ars Magna, 2017).

" Connu surtout comme le promoteur de l’idée eurasiste et comme le théoricien qui a une influence fondamentale sur les orientations géopolitiques de l’actuel maître du Kremlin, Alexandre Douguine est aussi (voire surtout) pour beaucoup de ses lecteurs celui qui a le mieux exposé l’idée traditionaliste dans notre Kali Yuga.

On reconnaît un arbre à ses fruits et ceux issus du traditionalisme de René Guénon et de Julius Evola étaient bien décevants. Ces grands penseurs avaient laissé une oeuvre gigantesque mais des disciples aussi petits que médiocres dont la seule fréquentation était de nature à dégouter de se revendiquer de la Tradition.

Puis Alexandre Douguine vint… et il ouvrit des perspectives immenses sur l’islam, l’orthodoxie, le judaïsme, sans oublier les liens entre la Tradition et la géopolitique. On peut résumer son influence en écrivant qu’il fit de ses disciples des « traditionalistes du XXIe siècle ».

D’où la nécessité impérative de rendre accessible aux lecteurs francophones la totalité de ses textes consacrés à la Tradition traduits dans notre langue. Nombre d’entre eux sont totalement inédits, d’autres ont déjà été publiés dans d’obscures revues ou sur des sites internet éphémères, tous méritent d’être lus et médités, tous vous changeront en profondeur et contribueront à faire de vous les kshatriyas que demande notre âge de fer. "

mercredi, 15 novembre 2017

Vers une authentique renaissance de la cité...

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Vers une authentique renaissance de la cité...

par Patrice-Hans Perrier

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Patrice-Hans Perrier cueilli sur De Defensa et consacré aux conditions d'une renaissance de la cité. L'auteur est journaliste au Québec.

Vers une authentique renaissance de la cité

À l’heure de l’ubiquité des échanges numériques, dans un contexte où les conventions culturelles sont battues en brèche, la cité se meurt faute d’oxygène. Il ne demeure qu’un vague agrégat d’intérêts disparates mettant en scène des acteurs qui meublent l’espace civique comme des potiches. La médiation n’est plus le lot des clercs d’autrefois : les grands prêtres du spectacle médiatique arbitrent aux différents qui ne manquent de se multiplier alors que le « vivre ensemble » n’est plus qu’une vague chimère. Il convient de rassembler les gens autour d’événements construits comme autant de célébration vides de sens, le temps de célébrer une fête païenne ou chrétienne travestie en journée de la consommation, le temps d’une fugace fuite en avant.

Rituels de la cité confisqués par Hollywood

Les médias, comme l’ancien bréviaire de nos pères et mères, scandent le temps de la liturgie d’une société de la consommation qui a chassé tous les rituels qui marquaient d’une pierre blanche les fondations de la cité. Il n’y a presque plus de naissances, encore moins de baptêmes à célébrer; alors pourquoi ne pas se concentrer sur la naissance des stars du monde du spectacle qui, à l’instar des certains astres fugaces, ne font que passer le temps de nous distraire de nous-mêmes. Les récoltes se font rares : toujours moins de fêtes paysannes destinées à célébrer la corne d’abondance des produits d’un terroir laissé en friche entre les mains des promoteurs immobiliers. Plus personne ne se joint à la cohorte des foules venues assister au mouillage d’une embarcation qui transportera les pêcheurs vers le large. Chacun de son côté, prostré devant son site pornographique, pourquoi prendre la peine de rencontrer des partenaires afin de tisser des relations qui culmineront par un mariage ? Une autre célébration qui disparaît de la carte … sauf pour les vedettes d’Hollywood qui célèbrent de nouvelles épousailles au moment de changer leur garde-robe, entre deux saisons de tournage. Plus de baptêmes, presque plus de mariages et jusqu’aux enterrements de nos aïeux qui sont proscrits par cette société narcissique qui refuse de célébrer les moments charnières qui permettaient à la cité de se retrouver au gré de rituels qui survivaient à l’effondrement des empires.

Oubliez les personnages historiques, les Saints et les autres symboles qui étoffaient la Geste de la nation. Il n’y a plus rien à célébrer, hormis les potins des stars d’Hollywood qui respirent à notre place. Nous vivons par procuration au gré d’une représentation mimétique qui n’est qu’un théâtre du simulacre, puisque le temps de la cité s’est arrêté. Il s’agit d’une authentique glaciation de la vie humaine, dans un contexte où la programmation du monde inorganique vient de réussir un véritable coup d’état envers les « très riches heures » de nos antiques sociétés.

La résistance et la reconstruction

Véritable libre-penseur, philosophe avant la lettre, Hannah Arendt s’est penchée sur la catastrophe d’une postmodernité qui semble être le tombeau d’une humanité privée de son terreau. C’est avec La Condition de l’homme moderne, publié en 1958, qu’elle marque un grand coup en nous faisant prendre conscience de l’avancée de ce totalitarisme technocrate qui menace jusqu’à la raison d’être de toute société humaine. Disciple de Martin Heidegger, Arendt se penche, comme les fées du berceau, sur les modalités de l’AGIR qui fondent l’existence dans le creuset de l’humaine condition. Heidegger, le dernier des hellénistes classiques, célèbre la pensée de ces présocratiques qui avaient, déjà, mis en garde l’humanité contre les puissances démoniaques d’un hubris laissé à lui-même. Manifestement en porte-à-faux face à l’idéalisme hégélien, Arendt ambitionne de jeter les bases d’une « anthropologie politique » susceptible de nous aider à détricoter la condition humaine. Paul Ricoeur n’affirme-t-il pas qu’ « il faut lire Condition de l’homme moderne comme le livre de la résistance et de la reconstruction ». Mais, résister à quoi et comment reconstruire, serait-on tentés d’ajouter ?

Arendt travaille d’arrache-pied sur les fondamentaux de cette vita activa qui permet à l’humanité de se perpétuer à travers le temps et l’espace. Rejetant toutes conceptions essentialistes qui représenteraient la nature de l’homme en faisant abstraction de son vécu en société; elle ne tombe pas, non plus, dans le piège d’un déterminisme qui, à l’instar de notre actuelle théorie du genre, stipulerait que l’homme est un être conditionné par son milieu ou par une représentation culturelle. C’est en accomplissant ses œuvres que l’homme permet à son être de se manifester. L’Homo faber agit sur son environnement, se projette dans son vécu et protège une liberté qui est tout sauf une vue de l’esprit. Déjà, son mentor, Heidegger, avait compris que le totalitarisme de la société techniciste menaçait de ravir à l’humanité jusqu’au souvenir d’une liberté perdue à force d’être coupé de toutes les racines de l’anthropos. Arendt télescope sa pensée du côté de la polis athénienne du Ve siècle avant notre ère. C’est au cœur de l’antique cité grecque qu’ont été forgées les bornes qui séparaient le domaine privé et le domaine public, alors que l’oikos – la maisonnée – était un lieu sacré, inviolable, distinct des débats qui présidaient aux destinées de la polis.

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Un foyer familial violé

Notre modernité tardive, avec son machiavélisme froid, a détruit la maisonnée de nos pères et mères pour y substituer une agora concentrationnaire qui menace toute forme d’intimité. Véritables ilotes, sans attaches, ni liens filiaux, les consommateurs laissent le soin à une caste de politicards de présider aux destinées d’une polis pervertie par les forces du grand Capital. À contrario, les patriotes de l’antique cité grecque participaient à la magistrature d’un pouvoir qui n’avait pas été confisqué par des métèques, c’est-à-dire des forces extérieures à la cité. La polis représente, in fine, la prise de la parole au sein d’une agora qui rassemble tous les citoyens libres qui composent cette authentique société. L’oikos représente le lieu de l’intimité familiale, un espace en soustraction vis-à-vis de la polis, véritable matrice de la naissance et du travail nécessaire à la survie biologique. En outre, l’espace familiale est le lit d’une tradition propre à une lignée qui tentera de s’illustrer au cœur des débats qui président aux destinées de la cité. La cellule familiale, de l’aveu de Arendt, représente « un lieu que l’on possède pour s’y cacher ». Voilà pourquoi l’oikos est inviolable, malgré le fait que ses membres fassent partie de cette cité qui représente l’espace des échanges humains. Le vivre-ensemble n’est possible qu’au gré de la symétrie démocratique, d’une participation de tous aux affaires courantes de la polis, alors que l’intimité familiale, l’oikos, permet au citoyen de se ressourcer auprès des membres de son clan.

Les penseurs de la lucidité postmoderne, de Arendt à Francis Cousin, en passant par Guy Debord, posent un diagnostic incontournable sur nos sociétés moribondes à l’heure de l’ubiquité des médias tout-puissants. Le propre d’un univers concentrationnaire c’est d’éliminer la distinction entre l’intime et le public, pour que plus personne ne soit en mesure de prendre la parole et d’apporter sa pierre à l’édification d’une société épanouissante. Pendant que les politiciens professionnels monopolisent l’espace public, les consommateurs se réfugient dans un cocon préfabriqué – cocooning – qui n’a rien à voir avec une cellule familiale puisque l’état s’occupe de règlementer toutes les facettes de la vie de couple, prenant en charge les enfants et règlementant jusqu’aux usages domestiques pour finir par prendre en charge l’intimité de chacun. L’état totalitaire postmoderne viole les citoyens qui sont devenus des esclaves par consentement.

Paradoxalement, Arendt et consorts ont, dans un premier temps, excité la curiosité de cette gauche soixante-huitarde qui ambitionnait de révolutionner les rapports en société. De nos jours, ce sont les nouveaux conservateurs – combattant le néolibéralisme sous toutes ses formes – qui s’emparent de cette pensée féconde afin d’être en mesure de se forger des outils de combat effectifs et pérennes. Puisque le néolibéralisme ambitionne de briser toutes les frontières du langage humain, laissant au langage machine le soin de baliser l’espace transactionnel pour le plus grand profit des flux informatiques. La circulation de l’INFORMATION ne supporte aucune prise de parole au sein d’une agora qui a été transformée en parquet par les marchands du temple. C’est le Capital qui prend la parole à travers ses médias autorisés, lesquels permettent à la caste des politicards de venir y donner leur représentation factice.

Restaurer l’intimité du foyer

Ceux et celles qui se réclament du patriotisme ont très bien compris qu’il est minuit moins cinq. Dans un contexte où l’argent liquide sera bientôt retiré de la circulation et à une époque où les citoyens n’ont plus aucun mot à dire sur les destinées de leur cité moribonde, un nombre croissant de résistants est conscient qu’il devient urgent de préserver ce qui reste de la cellule familiale. Puisqu’à défaut de participer aux affaires de la polis, le néo-citoyen peut se donner les moyens de restaurer l’intégrité de son milieu de vie immédiat, tout en tissant des liens de proximité et d’entraide avec d’autres résistants face à cette impitoyable centrifugeuse que constitue le grand Capital prédateur. Il semblerait que les maîtres de la Banque soient des émules de Platon, cet ancêtre de la Maçonnerie spéculative qui percevait le philosophe comme un être supérieur à celui qui s’occupait de la chose politique. D’ailleurs, la cité utopique préconisée par Platon devrait, dans le Meilleur des mondes, être dirigée par une caste de philosophes-rois. Cette pensée délétère inaugure un distinguo entre la praxis et la theoria, dans un contexte où le commun des mortels est ravalé au rang d’un animal laborans, véritable esclave au service d’une élite de prédateurs qui, seule, a le droit de présider aux affaires et aux destinées de la cité.

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Si, à l’époque de la cité hellénique classique, seuls les citoyens libres avaient le droit de participer aux affaires de la cité – les femmes et les esclaves en étant interdits d’office – il n’empêche qu’une part substantielle du corps social avait « droit de cité ». De nos jours, seuls les professionnels de la politique – et leurs auxiliaires des médias – agissent comme représentants de ceux qui ont véritablement « droit de cité ». Le subterfuge est cynique puisque les payeurs de taxes sont ponctionnés par une caste de prévaricateurs faisant semblant de représenter la piétaille qui travaille ou qui chôme, c’est selon. La cité ayant été confisquée par les agent du Capital, le génos – tradition familiale basée sur l’occupation du territoire par une population donnée – sera liquidé au moyen de l’augmentation continue des flux d’immigrants, de l’augmentation vertigineuse des prix de l’immobilier et de la destruction des fondations pérennes de la famille. Privé de son oikos et n’ayant plus aucun droit de parole effectif au sein des affaires de la cité, le consommateur de la postmodernité n’est définitivement plus un citoyen. De fait, les femmes et les esclaves mâles se disputent au beau milieu des restes fumants de cette polis détruite par les nouveaux citoyens de l’hyperclasse technocratique.

La perte du monde commun

Jean-Claude Poizat, dans son opuscule intitulé « Hannah Arendt – une introduction », ne coupe pas les cheveux en quatre lorsqu’il affirme que « … la modernité nous renvoie à l’expérience de la perte du monde commun. Or, au-delà de la dimension historique, cette expérience porte atteinte à deux conditions fondamentales de l’existence humaine : l’appartenance au monde et la pluralité ». En effet, il faut être en mesure de préserver nos liens de filiation – l’intimité de la cellule familiale – si l’on souhaite pouvoir participer aux destinées d’une cité qui, normalement, représente le DIA-LOGOS en action. D’où l’importance pour l’Imperium d’éradiquer toutes traces de cultures authentiques, ce qui inclut le langage et ses manifestations. Le philosophe et théologien Paul Ricoeur, à travers ses études sur l’altérité – ou rapport à la différence – estime que le propre du totalitarisme absolu c’est d’abolir toutes les bornes qui agissaient comme des sas permettant de préserver l’intimité de l’être, condition essentielle d’une authentique communication. Le monde commun c’est l’espace public où il est possible de partager un part de soi avec autrui, de faire connaissance et de nouer des liens féconds et durables. Le civisme représentant, donc, une prise de conscience citoyenne qui, seule, permet de bâtir les fondations d’une cité qui ne soit pas concentrationnaire.

On parle du « commun des mortels », afin d’identifier ceux et celles qui composent les fondations de la cité. La plèbe ne représente pas un agrégat d’esclaves incultes; à contrario ce terme réfère à l’humus, c’est-à-dire ceux qui cultivent la terre. Le monde commun c’est l’espace où les patriciens – oublions la confrontation entre patriarcat et matriarcat – peuvent se rencontrer afin de partager les fruits de la terre et de présider aux affaires courantes de la polis. L’homme postmoderne « hors-sol », coupé de ses racines, est comparables à un ilote corvéable à merci puisqu’il ne participe plus d’un génos effectif. Son identité lui est conférée par son numéro d’assurance sociale et sa marge de crédit. Hors du lexicon informatique, l’humanoïde ne représente plus rien : sa liberté est déterminée par son pouvoir d’achat et rien d’autre. À tout moment, la Banque peut lui couper les vivres et le déposséder de cette identité factice qui lui permettait de nouer des liens transactionnels avec d’autres consommateurs aliénés comme lui.

Le droit de parole

Tout le monde parle, tout le temps, sur son portable et les internautes éructent des commentaires disgracieux sur les médias sociaux qui ne sont que des perchoirs à perroquets. Ce babil incessant trahit l’énorme angoisse qui pèse sur le monde actuel, dans un contexte où les citoyens ne participent plus aux débats politiques. Même la classe politique ne préside plus vraiment aux destinées de la polis; elle se contente de jouer sa partition au beau milieu d’une agora qui a été transformée en amphithéâtre médiatique. La classe politique donne le la, alors que les commentateurs et autres chroniqueurs de l’air du temps improvisent à partir de cette partita pipée. Les consommateurs se chargent de faire circuler les racontars du jour, tout en les ponctuant avec force éructations. La machine à rumeur s’emballe et, au même moment, les donneurs d’ordres passent leurs commandes sur les parquets des grandes places boursières. C’est le Capital qui tient le crachoir.

Les-Origines-de-la-pensee-grecque.jpgJean-Pierre Vernant, dans « Les origines de la pensée grecque », souligne que « le système de la polis, c’est d’abord une extraordinaire prééminence de la parole sur tous les autres instruments du pouvoir ». C’est ce qui explique l’importance accordée au fait de « tenir parole » chez les peuples primitifs. « Donner sa parole » signifie que le locuteur implique toute sa personne dans son discours et qu’il ne sert point d’obscurs intérêts qui agissent par procuration. L’orateur de la Grèce antique prend la parole afin d’apporter sa pierre à l’édification d’une polis qui ne peut se concevoir sans la participation effective de ses constituants, les citoyens.

Concluons sur ce passage de Jean-Claude Poizat qui nous rappelle que « l’égalité de tous les citoyens devant la loi se mue en participation effective à toutes les magistratures du pouvoir. Un tel régime politique implique, en particulier, que l’action politique des citoyens soit une action sans modèle et en quelque sorte improvisée, par opposition au travail productif qui est une activité réservée au spécialiste et qui requiert un savoir particulier – comme c’est le cas chez l’artisan ». Il n’y a pas à dire, la caste politicienne ne sert à rien, sinon qu’à ponctionner les finances publiques et à tenir lieu d’interface qui brouille la communication au profit d’un Capital qui a tout loisir de mener ses projets à terme. Étienne Chouard, économiste et politologue iconoclaste, a parfaitement raison de proposer d’élargir le spectre de la participation citoyenne aux affaires de la cité; ce qui pourrait, in fine, conduire à une marginalisation de la classe politique telle que nous la connaissons.

Le commun des mortels – tous les hommes et les femmes qui participent à « l’être du monde » – ne doit plus accepter cette démocratie représentative qui n’est qu’un des rouages de la grande machination du monde de la « politique spectaculaire », pour paraphraser Guy Debord, notre mentor. Ce n’est plus la rue qu’il faut occuper : la plèbe devrait revêtir ses plus beaux atours et investir l’espace du Parlement. Le dèmos c’est l’ensemble des citoyens qui devraient, normalement, faire partie de l’assemblée patricienne du « grand peuple ». Le kratos – ou pouvoir effectif sur les affaires de la cité – ayant été confisqué par la ploutocratie – ceux qui détiennent les richesses et qui représentent le plousios –, il y a urgence que les forces vives de la nation prennent en main les rênes de cette démocratie qui n’est plus qu’un simulacre fétide. À contrario des stars et des ploutocrates, soyons humbles comme l’humus afin de nous réconcilier les uns avec les autres et d’être en mesure de renouer avec le radical de notre humaine condition. Nos racines profondes.

Patrice-Hans Perrier (De Defensa, 5 novembre 2017)

mardi, 14 novembre 2017

Enracinement et mondialité: l’Europe entre nations et régions

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Enracinement et mondialité: l’Europe entre nations et régions

Gérard Dussouy
Universitaire, essayiste

Ex: https://metamag.fr

La notion d’enracinement ne va pas de soi, même si elle suggère l’attachement à un territoire, à des traditions ; enraciner voulant dire faire racine. C’est qu’elle n’implique pas la fixité, comme l’on peut être tenté de le penser, et comme le prouve l’expérience historique de plusieurs communautés humaines.

Néanmoins, cette notion d’enracinement est mise en avant aujourd’hui. Et si elle soulève tant d’intérêt, c’est parce qu’elle répond à une évidente perte de repères. Celle que provoquent les mouvements, les flux ininterrompus, qui caractérisent la mondialité ; ce nouveau cadre de vie des humains. Et qui correspond à un changement radical, intervenu en quelques décennies.


La mondialité est, en effet, le nouvel état du monde (celui qui résulte des différents processus de la mondialisation). Elle signifie que les individus et les peuples sont désormais tous inscrits dans un même monde connexe et synchrone, dans lequel la référence ultime ne semble plus être le local, mais le global. Dans lequel, le temps mondial absorbe toutes les temporalités régionales ou locales.

Cette nouvelle donne suscite, à la fois, de plus en plus d’instabilité dans les activités humaines et de crispations identitaires ou sociales, et elle soulève nombre d’interrogations. Toutes celles qui se trouvent au cœur de la relation problématique entre la tendance forte à l’homogénéisation du monde et ses propres hétérogénéités (dont les enracinements). Et, à propos de laquelle, on risquera ici quelques hypothèses.

La relativité de l’enracinement

On peut définir l’enracinement comme un contexte de vie, un espace-temps individuel ou collectif marqué par un lieu précis, une histoire locale, des traditions, des métiers, des habitudes de consommation, d’alimentation, de comportement.
Le village a pu être considéré comme l’idéal-type de l’enracinement. Symbolisé par son clocher, ou par son minaret en d’autres lieux, et marqué par le mythe du paysan-soldat. Ce qui n’est plus vrai suite à la révolution industrielle et à l’urbanisation des sociétés, facteurs de déracinement et d’uniformisation, à la fois.

enrac1.jpgAujourd’hui la transformation est largement accentuée avec la métropolisation du monde : l’interconnexion des capitales et des grandes villes fait qu’il existe souvent plus de liens entre elles qu’entre chacune d’elles et son propre arrière-pays. D’où, parfois, un sentiment d’abandon au sein des périphéries rurales (thème devenu récurrent en France).

Mais l’espace-temps va au-delà de l’horizon villageois (région ou nation), comme il peut relever d’un contenu plus social que territorial (monde paysan ou monde ouvrier). Enfin, l’enracinement n’interdit pas des affiliations multiples. Dans tous les cas, son apport essentiel est qu’il fixe des repères de vie, et on pourrait dire presque, pour la vie.

En contrepartie, l’enracinement génère nécessairement une vision du monde ethnocentrique. Tout individu ou tout groupement d’individus a une vision circulaire du monde qui l’entoure ; une vision autoréférentielle qui implique des perceptions faussées de l’environnement. C’est sans aucun doute là, le principal obstacle à la construction de l’Europe politique.

Contrairement à l’étymologie même du terme, il existe une réelle dynamique de l’enracinement.

D’abord, il n’est pas synonyme d’immobilité, et l’enracinement n’interdit pas l’échange, le déplacement. Le voyage est parfois le meilleur moyen d’apprécier ses racines. Quant à l’échange commercial, tant qu’il a été un échange de biens, et non pas un transfert de ressources financières ou technologiques, il était effectué entre des entités économiques enracinées.

Ensuite, le déracinement lui-même n’implique pas, systématiquement, la perte des racines (l’éradication proprement dite). Il est à l’origine de nombreuses recontextualisations de vie qui s’accompagnent de ré-enracinements. On en veut pour preuve, les nombreuses Little Italy ou China Towns que l’on connaît dans le monde. A plus grande échelle, l’Argentine est comme une nation hispano-italienne, en tout cas cela y ressemble, installée en Amérique du Sud. Quant à Israël, quoique l’on puisse penser des conséquences géopolitiques de sa création, c’est une remarquable réussite de ré-enracinement, dans la terre des ancêtres après des siècles de dispersion. Mais la diaspora n’avait pas fait disparaître les racines culturelles des Juifs.

De nos jours, la dynamique de l’enracinement est également la cause de la communautarisation des sociétés occidentales avec le ré-enracinement, au moins partiel, parce qu’il faut compter avec les phénomènes d’acculturation, des populations immigrées. En effet, partout dans le monde, les groupes qui migrent ont tendance à reconstruire leur histoire, et ils reconfigurent leur projet ethnique.

La mondialité en cause : culture globale ou communautarisation globale ?

C’est tout le problème aujourd’hui : les flux humains, matériels, et immatériels de la mondialité défient toutes les formes d’enracinement. Que peut-on en attendre ?

Une culture globale ? Dans le monde connexe et synchrone qui est désormais le nôtre, une impression de mouvement perpétuel s’est installée. L’interchangeabilité des lieux, des espaces-temps individuels et collectifs  semble presque être devenu la normalité. Par exemple, jeunes migrants africains en Europe contre retraités européens en Afrique du Nord.

Et la numérisation des sociétés vient ajouter au phénomène éminemment territorial du déracinement/ré-enracinement, celui, a-territorial, des multiples communautés virtuelles qui vient modifier les affiliations, les allégeances et les solidarités traditionnelles.

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Tout cela s’accompagne-t-il de l’émergence d’une culture globale ?

Des sociologues la perçoivent déjà. Ils la comprennent comme une symbiose des cultures particulières. Ou, et c’est quelque peu différent, comme une hybridation d’éléments culturels nationaux, étrangers les uns aux autres et déformés, et d’éléments sans identité, apparus dans la sphère des réseaux sociaux, qui se transmettraient instantanément d’un lieu à un autre, grâce aux supports médiatiques et numériques.

En quelque sorte, la culture globale serait, ni plus ni moins que, la culture du technocosme (à savoir, le système technologique, médiatique et numérique) qui enveloppe toutes les activités humaines et qui tend à se substituer au milieu naturel (avec toutes les rétroactions négatives que l’on connaît). Mais aussi, par la même occasion, des communautés virtuelles qui mettent en réseau des individus éparpillés dans le monde, lesquels peuvent finir par entretenir entre eux plus de relations qu’avec leurs proches ou leurs voisins immédiats. Il est clair que l’enracinement local, régional ou national n’est plus alors prioritaire.

Pour des sociologues comme R. Robertson, la culture globale est devenue l’ensemble humain au sein duquel le processus de l’intégration mondiale a pris son autonomie, en raison de l’expansion et de l’intensification des flux culturels globaux. Mais, cet avis ne fait pas l’unanimité parce que le rétrécissement du monde et le raccourcissement du temps créent aussi de la promiscuité entre les groupes humains qui entendent, malgré tout, conserver leurs particularités.

Une communautarisation globale ?

Et si la proximité, au lieu de promouvoir l’unité, malgré une globalisation relative des cultures, entraîne alors une communautarisation générale des sociétés concernées, à quoi peut-on s’attendre ?

Pour les plus optimistes, cette communautarisation pourrait prendre la forme d’une « fédération de diasporas », soit la cohabitation globale des groupes humains installés et déplacés. La rencontre des migrations de masse et des médias électroniques sans frontières, en permettant la restructuration des identités à distance, en d’autres lieux, serait ainsi fondatrice d’une ethnicité moderne qui caractériserait les nouvelles sociétés multicultures ; celle de la coexistence de différents espaces ou « lieux post-nationaux ». Et ce n’est plus là seulement une hypothèse d’école (propre au sociologue indien Appaduraï), puisque le Premier ministre canadien Trudeau a fait sienne la doctrine de l’Etat postnational qui fait qu’au Canada, à ses yeux, les communautés d’origine anglaise ou française n’ont pas plus de droits à faire valoir, du fait de leur antécédence, que les nouvelles communautés d’immigrés. Il est d’ailleurs fort possible que son successeur à la tête de la Confédération soit bientôt un ressortissant de la minorité indienne.

Néanmoins, conséquemment à ses travaux sur les minorités indiennes (Sikhs notamment) installées aux USA, Appaduraï, avec amertume, mais aussi avec lucidité et honnêteté, a fini par constater que la globalisation culturelle pouvait exacerber les différences. Et que d’une manière générale, il fallait admettre l’aspect schizophrène qu’engendre l’hybridité de la culture de ceux qui depuis les pays du sud viennent s’installer en Occident. Ce qui paraît une évidence quand on parcourt les banlieues françaises.

La fin des luttes hégémoniques ?

Une culture globale ou une « fédération de diaspora », l’une ou l’autre, peut-elle mettre fin aux luttes hégémoniques ? Rien n’est moins sûr. L’historien et sociologue I. Wallenstein (d’obédience néo-marxiste et par conséquent plus politiquement correct que S. Huntington) a qualifié l’arrière-plan culturel de la mondialisation de « champ de bataille du système-monde moderne ». Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le champ culturel demeure un espace structuré par les rapports de puissances. Il reste le terrain des luttes hégémoniques entre les communautés les mieux enracinées et les mieux technologiquement équipées. Dès lors, bien que l’avantage aille encore aux Etats-Unis, il est certain qu’il n’y aura pas d’occidentalisation du monde, contrairement à ce qui a été proclamé tous ces derniers temps. Comme l’a parfaitement dit le philosophe américain R. Rorty, la pensée moderne et la théorie des droits de l’homme qui va avec n’auront jamais été, prises ensemble, qu’une originalité de la bourgeoisie libérale occidentale.

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Car, ce n’est pas maintenant qu’elle est devenue la première puissance économique mondiale, en attendant d’accéder à ce même rang militaire et technologique, à l’horizon 2050, comme vient de le promettre son premier dirigeant, que la Chine va renoncer à ses valeurs et à ses croyances. Bien au contraire, leur retour est à l’ordre du jour. Il va de soi que la culture chinoise, enracinée dans une masse plus que milliardaire, et portée par sa diaspora, va compter de plus en plus dans la structuration mentale de la mondialité.

Nul doute aussi que la mouvance musulmane, malgré ses divisions, en raison de la multitude qu’elle représente et du profond enracinement de la religion qui l’anime doit être considérée, également, comme l’un des principaux challengers de la lutte hégémonique. L’instrumentalisation diplomatique de l’islam par la Turquie, mais elle n’est pas la seule, atteste déjà de ce potentiel.

Trois hypothèses pour une relation problématique

Le changement du contexte mondial, dans ses dimensions technologique et démographique/migratoire surtout, complique sérieusement la compréhension de la nature de l’enracinement. Pour évaluer ce dont il pourrait advenir de cette notion, relative en soi comme on l’a vu, il nous faut faire appel à la relation contradictionnelle qui existe entre la tendance à l’homogénéisation du monde avec toutes ses hétérogénéités (c’est-à-dire, comme on l’a dit tous ses enracinements), et qui ouvre trois hypothèses :
celle de l’homogénéisation forte ou complète.
Elle est la négation des enracinements, car dans cette hypothèse, le local ne serait plus que du global localisé. On en revient à cette culture globale générée par les technologies de la communication, mais aussi par l’uniformisation des styles de vie tournés vers la consommation et le confort.

Mais, le global peut lui-même être imprégné d’éléments locaux globalisés. Il n’est donc pas incompatible avec la présence d’une hégémonie culturelle. Une sorte de global sous hégémonie. Comme cela en a l’allure depuis 1945, et surtout depuis la fin de l’Urss, en raison de la domination écrasante des USA en matière de productions culturelles. Cependant, comme on l’a noté, dans quelques décennies, cela pourrait être le tour de la Chine tant il est vrai que l’influence culturelle est la continuité de la puissance.
celle de l’hétérogénéité triomphante et de la fragmentation planétaire.

Pour différentes causes, la tendance à l’homogénéisation du monde, et à son intégration, par le marché notamment, pourrait s’interrompre. Car rien n’est irréversible. On peut en percevoir trois, parmi d’autres moins évidentes : les catastrophes naturelles engendrées par le changement climatique ; les crises économiques et sociales alors que l’économie mondiale est annoncée, par beaucoup d’économistes, se diriger vers un état stationnaire (insuffisant pour satisfaire à tous les besoins grandissants de la population mondiale en pleine croissance) ; les guerres démographiques structurelles. Trois causes qui peuvent s’avérer, bien entendu, interactives.

Si de tels événements devaient survenir ou de tels phénomènes s’enclencher, il est sûr que l’on assisterait à une fragmentation du système mondial sous l’effet d’un vaste mouvement de reterritorialisation, de renationalisation, de relocalisation…et finalement de ré-enracinement.

Ce nouveau désordre mondial, engendré par les luttes pour la survie, tous les groupements humains, toutes les nations, ne seraient pas en mesure de le surmonter. Parmi les entités politiques les mieux en situation d’y parvenir, on trouverait celles dotées d’un fort mythomoteur (complexe de symboles, de valeurs partagées, de styles et de genre de vie), selon la terminologie du sociologue anglais Anthony Smith. On pense ici au Japon dont le mythomoteur a survécu (et la nation japonaise avec lui) aux avanies subies depuis 1945, malgré la crise d’identité de sa jeunesse, et en dépit d’un déclin démographique prononcé.
Mais le chaos aggraverait les inégalités et les crispations identitaires seraient, pour la plupart, sans apporter de solution, tant les unités reterritorialisées seraient faibles.

En Europe, dans cette hypothèse comme dans la première, c’est la fin des modèles nationaux qui est annoncée. Et que l’on constate déjà, en raison du dépassement structurel des États concernés et de la décomposition de leur nation (dénatalité, vieillissement, communautarisation).

Dès lors, entre l’homogénéisation de la culture mondiale, probablement sous hégémonie, destructrice des identités, et la dispersion régressive ou mortelle dans le chaos, une voie de salut existe du côté de la mise en place de nouveaux cadres politiques à la mesure des défis inventoriés. En recherche de sécurité et de régulation, fondés sur des affinités culturelles et/ou civilisationnelles, ces cadres seront nécessairement plurinationaux. Ce qui, inéluctablement, renvoi à la thématique du fédéralisme.

En effet, face aux réalités de la géopolitique mondiale, et en présence de la diversité culturelle européenne, le seul recours réside dans la restauration du politique grâce à l’ancrage de sa verticalité dans les réalités historiques et locales européennes. Il s’agit de construire l’Europe par le haut et par le bas, de façon simultanée, et d’édifier des institutions à forte réflexivité collective, c’est-à-dire en mesure de s’auto-corriger (en jouant de la subsidiarité, dans un sens comme dans l’autre). Malheureusement, on n’en est pas là ! Malgré le constat d’impuissance, la logique du chacun pour soi l’emporte, jusqu’à engendrer de pathétiques querelles d’Européens.

La question de fond demeure toujours la même : les Européens ont-ils conscience d’avoir des intérêts vitaux communs, et sont-ils prêts à s’organiser en conséquence ? Ou bien, considèrent-ils qu’ils peuvent s’en sortir, chaque État-nation ou chaque État-région, chacun de son côté, et sauver ce qui lui reste de prospérité et d’identité? Ou bien encore les Européens sont-ils résignés à leur autodissolution, ou sont-ils prêts à se replier dans des isolats au sein même de leur propre Etat. L’avenir donnera la réponse !

Contribution aux Assises de l’enracinement, Ligue du Midi.

Gérard Dussouy, professeur émérite à l’université de Bordeaux,  a publié un Traité de Relations internationales, en trois tomes, Editions L’Harmattan, 2009. Et en 2013, Contre l’Europe de Bruxelles, fonder un État européen, Editions Tatamis. Une édition italienne de ce dernier livre, mise à jour et adaptée, est parue.

samedi, 11 novembre 2017

Tierra, Mar y Katechon

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Tierra, Mar y Katechon

Pueblos de la Tierra y pueblos del Mar

Ex: http://www.hiperbolajanus.com

El hombre asumió el principio de territorialidad desde el mismo momento que dejó de ser nómada, cuando en el lejano Neolítico comienza a establecerse en un territorio determinado, bajo comunidades de cierta amplitud, y con un código de valores y unas normas de convivencia que comienzan a forjarse de forma más o menos difusa, en un principio, y con mayor claridad en el devenir de los siglos. Así podríamos definir, de forma simple y concisa los inicios de la historia de la humanidad civilizada, en lo que nos remite al germen del poder político y del desarrollo de estructuras más o menos complejas que derivan en formas estatales de distinta naturaleza.
 
En este sentido es muy interesante destacar las reflexiones de Carl Schmitt al respecto, quien nos habla de una antítesis fundamental en la base del dominio político sobre el territorio. Se trata de un antagonismo que nos remite a dos tipos claramente diferenciados de entornos: por un lado la tierra y por el otro el mar. Estos dos elementos, que vemos claramente expuestos con posterioridad en la obra de Aleksandr Duguin, cuando nos habla del dominio de la tierra (telurocracia) y el dominio del mar (talasocracia), reúnen una serie de condicionamientos a nivel simbólico que reflejan naturalezas en contraste.
 
En el caso de la tierra nos remite a un elemento sólido, compacto y sobre el cual se pueden generar riquezas concretas, en forma de cultivos y cosechas o incluso proporcionarle una identidad al dividirlo, al ser susceptible de contener la impronta del hombre y de las actividades humanas en general. No en vano distintos estratos de asentamientos humanos se superponen sobre la tierra firme, y a día de hoy arqueólogos, paleontólogos o cualquier otro tipo de especialista puede conocer y estudiar la huella del pasado a través de los restos materiales contenidos en esa tierra. De modo que la tierra, en definitiva, es testigo y soporte de nuestras actividades, y por ese mismo motivo es posible establecer un dominio claro y efectivo sobre la misma, un dominio político sin lugar a dudas.
 
En el caso del mar ocurre exactamente lo contrario, y lo vemos reflejado en la ausencia de fronteras de ningún tipo, especialmente en lo que respecta a su superficie, donde se suceden interminables extensiones de un agua que, como elemento líquido, impide que la acción del hombre deje huella sobre la misma. Es muy complicado afirmar un principio de territorialidad sobre el mar, en la medida que es imposible compartimentarlo o dividirlo de manera alguna, de ahí que el dominio sobre los territorios marítimos haya sido, y siga siendo, un principio más difuso desde la perspectiva del derecho político.
 

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Los valores de la Tierra
 
Pero más allá de las cuestiones angulosas y complejas del derecho político, debemos contemplar dentro de la antítesis entre la tierra y el mar otro tipo de elementos que nos remiten al terreno más ideológico, lo cual supone un contraste que dentro de los posicionamientos de los teóricos más actuales del Eurasianismo vemos reflejados. Los valores ideológicos inherentes a la tierra, aquellos que representan el dominio político efectivo, se han traducido en una serie de ítems ideológicos muy claros: aquellos pueblos, imperios o civilizaciones basadas en el dominio de las masas y territorios continentales tienden a ser contrarios a las ideas vinculadas al progreso, a una concepción progresivo-evolutiva de la sociedad en los términos en los cuales es concebida por el liberalismo. El hecho de que la tierra no se atenga a los mismos criterios que el mar, que no sea maleable del mismo modo que lo son los océanos y que cualquier modificación se realice sobre un espacio fijo, nos habla de valores conservadores, contrarios a cualquier idea o principio de Devenir. En este caso debemos hablar de valores tradicionales, heroicos y espirituales que nos remiten a principios fuertemente enraizados en las conciencias de sus pobladores.
 
Del mismo modo la posesión y dominio de la tierra nos remite a un principio de Personalidad, que es el que alude al desarrollo no solo de un derecho privado, sino a la propia formación de un sentido aristocrático y vertical del poder. No en vano, en las sociedades tradicionales la existencia de una aristocracia terrateniente y la fundación de su poder sobre el dominio de posesiones territoriales ha sido fundamental. Respecto al tema de la Personalidad es importante destacar que ha sido uno de los elementos que Evola señala como uno de los procesos disolutivos propios de la Modernidad. La Personalidad, como afirmación de esos valores fuertes, desde la integridad y armonía interior son fundamentales para entender la concepción antropológica existente en este tipo de sociedades. Del mismo modo la Personalidad nos remite a la Persona, vinculada a un principio de identidad individual, que no individualista, dentro de la colectividad, que es otra de las referencias fundamentales defendida por los valores de la Tierra. El sentido comunitario-orgánico tan propio de las generaciones que nos precedieron, depositarias de valores agrarios en referencia a la vital importancia que hablábamos al comienzo, y es que aquellos que mantienen un vínculo directo con la tierra y ligan su existencia a ésta se impregnan de los valores duraderos y firmes que ésta representa. Del mismo modo la estructuración de una comunidad de este tipo entiende la necesidad de que cada una de las personas que la forman represente un rol o una función determinada, es lo que nos remite a la reforma gregoriana del siglo XIII, la que nos habla de la trifuncionalidad de la sociedad cristiana (los que trabajan la tierra, los que hacen la guerra y los que rezan), lo que implica un desarrollo vertical de la estructura de poder, una verdadera jerarquía en la que el dharma de cada persona establece el lugar que se ocupa en el conjunto.
 

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Los valores del Mar
 
Dentro del conglomerado ideológico que define los valores del mar hallamos principios e ideas diametralmente opuestos. El mar ignora fronteras y desconoce todo principio de unidad, como decíamos su estado líquido lo condena a la permanente indeterminación. Es imposible fijar fronteras físicas o moldear el paisaje del mismo de una forma duradera. De hecho, dentro de las concepciones tradicionales, el agua se relaciona con el estado previo a la Creación y al sentido de lo Primordial, es la referencia a la protomateria, a lo increado o lo que permanece en el caos o en la no-creación, con los cual alude a un principio oscuro. Las aguas nos remiten a lo preformal y el hecho de sumergirse en las aguas nos habla de muerte y disolución. Con lo cual los valores vinculados al mar nos remiten a valores que podríamos considerar anti-tradicionales. De hecho, y es algo muy significativo, han sido pueblos talasocráticos, que han fundamentado su poder sobre el dominio marítimo los que han construido la modernidad. Los países anglosajones, y más concretamente Gran Bretaña, han sustentado las bases de sus imperios mundiales sobre el dominio de los mares. En este caso prevalecen valores cosmopolitas, aquellos que hablan de la ausencia de vínculos orgánicos y comunitarios, así como el predominio de un individualismo disgregador, vinculado a intereses materiales y a la ausencia de principios y valores fuertes. Por este motivo los pueblos anglosajones han desarrollado un tipo de moral utilitarista y pragmática, donde han sido más importantes los efectos prácticos de las acciones, los beneficios dentro de un plano material, más que cualquier otro principio o valor político-ideológico inquebrantable. El cosmopolitismo y la reivindicación del individuo son dos procesos disgregativos de la modernidad. Es importante el matiz lingüístico y terminológico que se deriva del concepto «individuo», que deja entrever ese principio abstracto e indeterminado frente a la Persona y la Personalidad inherentes a los valores de la Tierra, y es que el individuo cosmopolita, materialista y pragmático es también un relativista moral, que carece de esa unidad y fortaleza interior propia de quienes integran la perspectiva terrestre, es un accidentalista y un oportunista, enemigo de cualquier valor absoluto y principio trascendente. No es casualidad que la democracia ateniense llegase a su punto de mayor apogeo con el triunfo de la talasocracia, que permitió el acceso de esclavos y metecos al cuerpo social bajo criterios materialistas y utilitaristas y bajo una concepción de la sociedad totalmente horizontal.

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Sobre la idea de Katechon en Carl Schmitt

La interpretación clásica de Katechon

Está claro que los valores del Mar se han terminado por imponer y la Modernidad se ha fraguado al amparo de este tipo de civilización de carácter descendente. Actualmente, bajo el periodo histórico en el que vivimos, en el contexto de la Posmodernidad, nos hallamos en un punto de encrucijada, en lo que no es un momento exclusivo a lo largo del devenir histórico. Obedece a la lógica de los ciclos históricos, describiendo movimientos elípticos, de ascenso, con sus etapas de apogeo, y de descenso con etapas de oscuridad e inversión. Hay un concepto, que aparece referenciado en la obra de Carl Schmitt que resulta muy interesante desde la perspectiva teológico-política y filosófica, la cual nos ha permitido establecer una conexión entre la historia como un fenómeno factual, fundada en los hechos, y el propio acaecer de los acontecimientos humanos. Se trata del concepto de Katechon, al que se hace referencia originariamente en el siguiente pasaje bíblico en el que se describen las tres etapas que impiden la llegada del Anticristo:
Porque el misterio de la iniquidad ya está en acción, sólo que aquel que por ahora lo detiene, lo hará hasta que él mismo sea quitado de enmedio. Y entonces será revelado ese inicuo, a quien el Señor matará con el espíritu de su boca, y destruirá con el resplandor de su venida;...
(2 Tesalonicenses 2-7)

En este fragmento, San Pablo parece referirse a una especie de corriente subterránea que recorre la historia y que caracteriza como «el misterio de la iniquidad», por el mal y por la acción del Anticristo. No obstante la acción contaminante y envilecedora del mal aparece como contrarrestada por otra fuerza misteriosa, la cual es citada de forma neutra, «como aquello que impide» y en género masculino como «aquel que por ahora lo detiene». Este principio inicuo está destinado a manifestarse en toda su trágica virulencia, sin embargo, está condenado a ser derrotado y eliminado, a ser «quitado de enmedio». A continuación San Pablo añade que «Jesucristo lo destruirá con el aliento de su boca» (2 Tesalonicenses, 2-8).
 
La interpretación de la exégesis cristiana es una tarea hartamente complicada, y más si atendemos al fragmento anteriormente citado. Muchas han sido las teorías que han tratado de aportar luz a las palabras de San Pablo pero, sin embargo, los propios Padres de la Iglesia han tratado de desafiar el misterio de las palabras paulinas para adentrarse en una interpretación que comprende una vertiente teológico-política. Se trataría de una fuerza misteriosa que desde tiempos del Imperio Romano y en lo sucesivo, especialmente durante la Edad Media y en el camino hacia la Modernidad actual, habría contenido una serie de desgracias y calamidades que podrían haberse materializado con las profecías de Daniel y el Apocalipsis y que habrían precedido al momento de la Parusía de Cristo. El Katechon nos aparece como una categoría que Carl Schmitt ha utilizado para aplicarla a las propias dinámicas de la política internacional y en la función de las ideologías y las potencias liberales, en aquellas catalogadas anteriormente, como parte de la ideología del Mar.
 
La interpretación según Carl Schmitt
 
De hecho, el propio Schmitt aplica la categoría de Katechon a los Estados Unidos en el momento en el que se produce su entrada en la Segunda Guerra Mundial en el lado de los ingleses, estableciéndose la adhesión de los norteamericanos a la estrategia y herencia talasocráticas de éstos últimos. En este sentido encontramos el concepto de Katechon, en su definición más primaria, como un obstáculo a toda transformación razonable y a todo crecimiento sano. El ensayo de Carl Schmitt donde aparecen claramente formuladas y sistematizadas estas ideas lo encontramos en El nomos de la Tierra en el derecho de Gentes del Jus Publicum Europaeum, donde se establecen una relación entre el elemento jurídico y la Tierra, de modo que entre ambos media una digresión sobre el Imperio como Katechon en la respublica christiana medieval. De hecho este principio nos aparece como una especie de fuerza capaz de mantener en estado de suspensión la idea escatológica del fin del mundo en el ámbito del acontecer humano mediante la creación de una gran potencia histórica. Esa idea de Imperio emerge consagrada o ungida bajo una gran misión histórica, en una especie de contexto de salvación escatológica que permitía, en el ámbito del mundo medieval, establecer un principio de continuidad con el propio Imperio Romano. A partir de entonces vemos cómo el concepto bíblico de Katechon se hace más profano y pierde las raíces místicas que lo vinculan directamente a la idea del fin de los tiempos y la venida del Segundo Reino de Cristo.
 

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De algún modo se produce una transformación del concepto de Katechon durante el Medievo, y esa fuerza misteriosa que, atendiendo a la etimología del término griego τὸ κατέχον que significa «retener», «agarrar» o «impedir», con unas connotaciones dentro del ámbito de lo trascendente, de esa fuerza misteriosa, que a través de un fundamento escatológico vinculado a la propia idea de imperio, le era confiada una misión de acuerdo con la visión metapolítica y metafísica de los Padres. A partir de la Edad Media esta fuerza misteriosa, que «retenía», pasa de tener una función de conservación y reacción a presentar un principio de legitimación «activista» al materializarse mediante un proyecto mundano y político, en lugar de la espera de la venida del Reino de Cristo, sometiendo las prerrogativas de tal reino a la relativización del poder mundano. De hecho, y como ocurre en la citada obra, Schmitt nos habla del Katechon como la principal fuerza que desde el Imperio Romano, y con su continuidad a través de la respublica Christiana medieval se produce una transición en la que esa fuerza histórica de naturaleza extraordinaria y sobrehumana experimenta la citada transformación.
 
No obstante, y al margen de la utilización del término en el contexto medieval, tenemos otras aplicaciones que el propio jurista alemán intenta aplicar el concepto de Katechon a otros contextos diferentes a aquellos de la teología política del Imperio, especialmente en los últimos años de la década de los cuarenta, cuando las potencias del Eje han sido derrotadas, donde el concepto adquiere una significación histórica e ideológica que se opone a la deriva técnica y de planificación de tiempos inestables vinculada a la victoria del liberalismo anglosajón y del marxismo soviético en la Segunda Guerra Mundial. Una alianza entre elementos técnicos, adaptados a las necesidades del mercado y las nivelaciones socialistas. Hay una visión apocalíptica de ese mundo de posguerra, en la cual parece transfigurarse una visión de este pensamiento como sufrimiento y agonía, en una especie de prefiguración del trágico destino de la cruz, como factores caracterizantes de todo Katechon y está vinculado a un fin determinado y que está en plena consonancia con el propio misterio de la salvación dentro de la doctrina cristiana. Forma parte de un diseño divino cuyos contornos solamente nos serán visibles al final de lo tiempos y frente al cual únicamente cabe la confianza y la esperanza.
 
A partir de este contexto de posguerra el katechon aparece asociado a los vencidos, a aquellos que no quieren renunciar a escribir la historia pese a sus condiciones de extrema debilidad y que, incluso, no renuncian a la posibilidad de combatir a las fuerzas que emergen como vencedoras del conflicto, las que construyen el Nuevo Orden Mundial en Yalta, y que representan las fuerzas de la planificación técnico-económica que suponen un precipitarse del mundo hacia un activismo nihilista, la sociedad de masas. Se trata de un intento de resistir que nos puede recordar a la postura evoliana que vemos en Orientamenti, en la que la resistencia interior aparece como una estrategia, aunque más de replegamiento y defensa pero sin renunciar al contraataque. Schmitt habla de la «crucifixión» como parte de la naturaleza y experiencia humana en la historia y sobre la función y el modelo que representa para el cristiano la crucifixión de Jesús. Su muerte como esclavo, por un poder arrogante y autodivinizado se convierte, para Schmitt, en el símbolo de la persecución del enemigo contra los vencidos en la guerra justa. Todo ello en contra del principio racional y caballeresco en la relación amigo-enemigo, dentro del concepto de justus hostis, que representa respecto a todos los fanáticos fautores del justum bellum.
 

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A partir de la sistematización del nomos de la tierra comienza una fase en la que Schmitt aprecia cómo van produciéndose unos antagonismos, y en términos de confrontación, entre el pensamiento histórico cristiano y las filosofías de la historia de la era de la técnica, bajo la idea típicamente moderna y prometeica como un obstáculo providencial en relación al misterio conectado con el camino en el devenir temporal de la humanidad. Se trata de la acción del katechon vinculada a la promoción de una concepción política vinculada a concreción terrestre del orden y del derecho y de los valores orgánico-comunitarios. Esta fuerza misteriosa no aspira a convertirse en una fuerza dúctil y maleable en manos de la humanidad, sino que su misterio se funda sobre la idea de la aceptación de los límites humanos. Tal aceptación implica también que las pretensiones hegemónicas de la nueva humanidad surgida a partir de 1945, en su configuración nihilista y tecnocrática del poder mundial se encuentran sometidas a un límite, lo cual también supone una esperanza de cara a la redención frente al inmanentismo, y el consumismo hedonista de la nueva civilización. De modo que aquí Katechon implica una apelación a una forma de actuar alternativa a las dinámicas aparentemente en confrontación, pero en realidad solidarias, de las ideologías «redentoras» del capitalismo y el comunismo bajo las cuales subyace una peculiar interpretación de la historia.
 
Las connotaciones y prolongaciones del concepto katechónico podrían dar lugar a innumerables ideas e interpretaciones dentro del campo del derecho, la filosofía o la geopolítica que traspasarían nuestros objetivos y pretensiones, que no van más allá de mostrar un elemento interesante dentro de los diferentes recursos ideológicos e interpretativos que el lúcido pensamiento del eminente jurista alemán Carl Schmitt, puede aportarnos.

jeudi, 09 novembre 2017

De la contradiction du système : État total VS État minimal

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De la contradiction du système: État total VS État minimal

Michel Lhomme
Philosophe, politologue

Ex: https://metamag.fr

Le terme du « pari multiculturaliste » exposé judicieusement il y a peu par Eric Werner  peut surprendre et en aura même irrité quelques uns qui croient encore à l’assimilation quand il n’y a plus rien à assimiler. C’est que, pour la première fois, le dictateur n’a ni visage, ni frontières, ni armées.

Ce n’est pas seulement l’axe horizontal gauche/droite qui est mort mais le principe même de la République. Il n’y a plus de partis parce qu’il n’y a plus que des tribus ou des ethnies éparses sur un territoire en sécession. Les citoyens ne peuvent plus adhérer mais ils sont « en marche », en mouvement perpétuel sans aucune possibilité d’intégration sauf par l’argent puisqu’il n’y a plus d’identité collective autre que commerciale. L’État total est ainsi devenu la seule finalité du gouvernement cosmopolite et multiculturel mais sans plus aucun espoir de grand lendemain collectif. Certes, il y aura encore quelques luttes sociales sporadiques mais sans conflit proprement politique puisque les syndicats ont été dressés pour tout dépolitiser par le consensus.

A l’extrême droite comme à l’extrême gauche, on entend aujourd’hui des phrases comme « les riches doivent payer », « la finance est mon ennemi… », on entend critiquer l’« oligarchie », parler même de « ploutocratie » mais sans se donner les moyens d’envisager l’union ou la conjonction des forces de renversement. Nous sommes ainsi prisonniers sur la scène critique d’un théâtre d’ombres politiques et l’idiotie des masses croissant avec la pédagogie de la compétence, la contestation finira par ne représenter plus rien d’autre que des intérêts tribaux, raciaux et pire religieux. Au final, la dictature sans visage, l’autoritarisme soft du libéralisme risque de s’avérer plus puissant que l’ancienne tyrannie des frontières et des armées sauf que ce ne sera jamais que le contrôle de territoires endettées à hauteur de plusieurs milliards d’argent fictif. L’État total pour « pacifier» le multiculturalisme est bien en construction mais sur la base de l’idéologie qui en est son oxymore même à savoir l’idéologie de l’État minimal.

Concrètement, face aux gigantesques moyens de fabrication et de manipulation de l’opinion, il n’y a plus ,face à la dépolitisation régnante du multiculturalisme que la dictature sans visage de l’État total, le grand État orwellien du contrôle généralisé et de la trace informatique. Mais ce futur suppose l’existence de prisons à l’infini, d’agents de contrôle postés à tous les carrefours, de forces de police  alors que la logique économique du système vise à la privatisation radicale et à la suppression massive des fonctionnaires. Entre l’État total, garant pacifique du multiculturalisme et l’État minimal, pivot du système économique du multiculturalisme, la contradiction est telle qu’il leur faudra bien un jour l’autre descendre dans la rue comme au temps des Versaillais de la Commune .

GO-couv.jpgAinsi, face à la désorientation du pouvoir qui veut faire croire qu’il n’existe plus qu’un modèle de société, que “there is no alternative” et que cette non alternative est toute couleur métisse, l’État total  se heurtera très vite à un sérieux problème de moyens et de compétences au point qu’au final, les citoyens ne pourront et surtout ne devront se défendre que seuls, en somme ne compter finalement pour leur sécurité que sur eux-mêmes.

La France de 2017 a choisi l’option apolitique de la gouvernance technocratique , l’alternance du grand remplacement cosmopolite pour débrider la consommation intérieure. Elle a opté en libertarienne conséquente, la dématérialisation numérique comme mode de gestion des citoyens et commence à prôner la démonétarisation radicale des échanges mais les carotte sont cuites, il ne reste plus à l’Etat de carottes à offrir.

C’est la fin à la française de la République, de l’État-nation et de l’État-Providence, de l’idéal démocratique au sens où l’ultralibéralisme a détruit pour partie la part sociale du rôle de l’État : la main gauche de l’Etat, son côté féminin, la solidarité qui s’exerce dans les écoles, les hôpitaux, l’aide sociale. Tout cela est effectivement mis à mal, saboté, sabordé. De fait, il ne reste plus alors pour lier les tribus que la part masculine, patriarcale, la main droite de l’État, c’est-à-dire la part répressive, ce que l’on appelle le rôle régalien, dont le terme rappelle bien évidemment son origine archaïque.

Dans cette part régalienne de l’État minimal en construction se trouvent l’armée, la police, la justice mais ces institutions sont elles-mêmes appauvries. L’Europe multiculturelle assiste ainsi à un déferlement de violence «légitime» et de restriction des libertés mais les années qui passent nous montrent aussi ce qu’il en advient : on peut tout faire dans l’économie du laisser-faire. La dépolitisation et la déculturation marquent aussi la crise d’efficacité et de légitimité du régime puisque gouverner dans ces conditions à savoir sans penser mais avec des états d’âme éthique s’avérera de plus en plus difficile. L’impuissance idéologique caractérise ainsi de plus en plus le pouvoir sans visage du contrôle total. En plus de cette incapacité à résoudre le plus souvent les problèmes quotidiens des gens, la dictature au visage d’enfant les laisse démunis puisqu’à la fois abandonnés socialement à la misère et à la pauvreté et livrés au fanatisme religieux.

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Quand l’efficacité a prétendu primer pendant des années sur l’identité en cassant les communautés organiques, ces dernières finissent nécessairement par manquer aussi à l’appel pour maintenir le système en équilibre et assurer les nécessaires corps intermédiaires. Dans la décomposition politique de la société multiculturelle, il n’y a effectivement plus alors que trois remèdes : la violence nihiliste des gens d”en bas”, la technocratie de contrôle des ”gens d’en-haut” ou le repli sur la société civile. L’enjeu est terrible puisqu’il en va de la survie même de la liberté c’est-à-dire de quelque chose qui normalement ne se négocie pas.

L’État total du pari multiculturaliste n’est donc pas une plaisanterie. Il s’y dessine la « gouvernance », l’administration de la société par une élite cooptée, sur le modèle des sociétés commerciales. Ainsi, les élites ont-elles décidé depuis longtemps que la démocratie représentative traditionnelle n’est plus adaptée à un monde globalisé fondé sur la libre circulation du capital, sur le métissage, sur l’État minimal et elles ont opté comme principe le multiculturalisme et comme pratique le grand remplacement des populations. Elles ont choisi la fin des peuples mais sur une antinomie intenable : l’État minimal et l’État total. Nous savons que cette antinomie est une aporie et donc par là qu’ils ont déjà perdu la partie.

Les quatre scandales de Machiavel...

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Les quatre scandales de Machiavel...

par Robert Redeker

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un article de Robert Redeker, cueilli sur son journal en ligne, La Vanvole, et consacré à Machiavel et à son traité Le Prince. Philosophe, Robert Redeker a dernièrement publié L'éclipse de la mort (Desclée de Brouwer, 2017).

Les quatre scandales de Machiavel

La puissance et la vérité de la pensée de Machiavel (1469-1527) sont intimement liées au caractère scandaleux de son maître-ouvrage Le Prince. De fait, peu de noms sont aussi maudits que le sien. La malédiction commença tôt. Dès les années 1540-1550 les camps catholiques et protestants s’entre-attribuent polémiquement la paternité de ce livre, accusé d’athéisme. On se lance le nom de Machiavel à la figure, en guise d’injure: l’adversaire serait machiavélique, ses idées seraient celles du secrétaire florentin. Son nom fixe les haines : le machiavélisme est, au choix, l’anglicanisme, le calvinisme, l’athéisme, le jésuitisme, le gallicanisme, l’averroïsme; il est toujours l’Autre dans ce qu’on imagine de pire. De son côté, l’intolérance de la Contre-Réforme se convainc que Le Prince a été écrit de la main même de Satan, conduisant le concile de Trente à le mettre à l’index ; il en suivra des autodafés un peu partout en Europe jusqu’au milieu du XVIIème siècle. En 1615, à Ingolstadt, on élève un bûcher pour y brûler en place publique l’effigie de Machiavel. Des nuées de théologiens, catholiques et réformés, parcourent le vieux continent clamant urbi et orbi que Machiavel est une incarnation du Diable, qu’il s’est échappé de l’enfer pour perdre l’humanité, errant à cette sinistre fin de pays en pays. On torture son nom en quête de l’aveu de son origine diabolique: Match-evill, Matchivell, “ Match-evill, that evill none can match ” répète-t-on. En France l’antimachiavélisme se développe sous les couleurs de l’italianophobie, de l’aversion suscitée par la princesse Catherine de Médicis et son entourage. En Italie, Machiavel est haï pour d’autres raisons : il accusé de justifier un pouvoir se constituant aux dépens de la richesse, de la morale et de la religion. Multiforme, la haine antimachiavélienne poursuit sa course de nos jours.

Imaginons qu’un mage de foire nous offre l’occasion de remonter le temps – l’inverse des Visiteurs – jusqu’au XVIème siècle. Que verrions-nous ?  Une époque agitée et terrible ! Un temps tourmenté, violent, créatif ! Fils de petite noblesse, Nicolas Machiavel commence à exercer des responsabilités après l’épisode Savonarole, qui, postérieurement à son excommunication par le pape Alexandre VI, fut condamné à la pendaison suivi du bûcher en 1498. L’aventure politique de Jérôme Savonarole, moine exalté et fanatique dont le gouvernement théocratique culmina dans l’organisation d’un “ bûcher des vanités ” destiné à consumer dans les flammes toutes les richesses “ superflues ”, y compris les instruments de musique, les œuvres d’art et les poèmes de Pétrarque, de Florence en 1497, marqua puissamment Machiavel qui en tira la leçon selon laquelle “ tous les prophètes désarmés furent vainqueurs, et les désarmés déconfits ”. Savonarole fut un “ prophète désarmé ”, n’ayant pu, de ce fait, conserver le pouvoir obtenu au gré de circonstances exceptionnelles. Machiavel commence sa carrière officielle de secrétaire politique et de diplomate quelques jours après le supplice de Savonarole. Cette existence de secrétariat et d’ambassade, dangereuse au sein de jeux politiques aussi subtils que cruels où l’erreur se paie comptant, lui fournit le terrain d’observation d’où jaillira son œuvre. Il composa ses livres politiques  pendant sa période d’éloignement forcé de la vie publique, entre 1512, année de l’écroulement de la république, et 1526, année où, il se met au service de la famille Médicis. Quel homme rencontrons-nous grâce à ce voyage rétrospectif? Pas le diable assurément, n’en déplaise aux sombres fanatiques et à leurs autodafés. Pas non plus un théoricien – un philosophe au sens de l’antiquité classique ou de l’intellectuel médiéval – ni un héros ou un prince, mais un observateur désabusé et un diplomate fidèle.

Que trouve-ton dans Le Prince, réputé le bréviaire des méchants ? Essentiellement de l’histoire naturelle prenant pour objet non les plantes et les animaux, mais l’univers de la politique. Les postures religieuses s’intègrent à leur tour dans la description en termes d’histoire naturelle. Un prince doit paraître posséder les qualités exigées par la religion – “ faisant beau semblant de les avoir, elles sont profitables ” – tout en évitant de les pratiquer trop scrupuleusement, car alors elles deviendraient nuisibles, conduisant à la perte. Histoire, dans “ histoire naturelle ”, se dit au sens grec de description et enquête: description froide et désillusionnée de la conduite des affaires politiques. Pourtant, Machiavel se sépare des Grecs. Dans Les Parties des animaux, Aristote inventa l’histoire naturelle, dont Machiavel suit l’esprit si ce n’est la méthode. Cependant, Aristote appliqua à toute la nature la notion de finalité, ce qui faussa son regard, quand, parallèlement, il mit à part de l’histoire naturelle les activités humaines tenues pour les plus hautes, l’éthique et la politique. Machiavel fait sauter ces deux verrous : d’un côté, il décrit ce monde politique comme si nulle finalité autre que la soif de pouvoir n’existait, et de l’autre, son regard de naturaliste porte beaucoup plus loin que celui d’Aristote, puisqu’il intègre dans sa logique quasi mécanique, l’univers de l’existence collective des hommes. Que les Borgia et les Médicis agissent comme il le firent, voilà qui est dans l’ordre de la nature!

Il appuie ses analyses sur une idée de l’homme issue de l’observation, non sur un présupposé métaphysique radical comme le feront Hobbes et Rousseau. Sur une anthropologie en situation. Qu’est-ce que l’homme ? Regardez-le en situation, observez-le dans les intrigues de cabinet, les empoisonnements de banquets,  dans l’assaut d’une cité ou bien la défense d’une place forte, vous en apprendrez plus sur lui que dans les traités des philosophes et des théologiens ! Mais justement, regarder et observer sont des activités difficiles – il faut, pour y voir, pour ne point avoir la berlue, s’être guéri de la métaphysique et de morale, avoir jeté par-dessus bord tous ces filtres empêchant d’apercevoir la logique des choses. Le premier grand scandale que causa Le Prince, qu’il continue de causer, réside dans cette posture : écrire une histoire naturelle des activités humaines tenues pour les plus élevées, une histoire naturelle de la politique.

Le contenu du Prince s’éclaire par ce choix initial – décrire sans juger. Nous ne sommes plus, en cette première décennie du XVIème siècle, dans l’Antiquité, où la politique s’articulait intimement à l’éthique (Aristote, Platon), ni au Moyen Age, où elle s’ordonnait à Dieu, s’articulant à la théologie. En même temps, nous sommes pas encore dans la modernité,  où la politique trouvera une configuration différente comme expression et organisation de la justice (de Rousseau à Rawls en passant par Marx). Machiavel occupe une position singulière dans cet entre-deux ères. La Renaissance est un mouvement de retour à l’antique ; le secret de Machiavel est de prendre des exemples dans l’Antiquité pour développer une conception de la politique a-éthique que l’Antiquité aurait repoussée,  impensable dans l’univers gréco-romain. De ce point de vue, Machiavel n’est pas un homme de la renaissance italienne! Pas plus qu’un homme d’une autre époque – il n’est pas pour autant un homme de tous les temps, mais un type anthropologique que Nietzsche aurait appelé “ un intempestif ”, un homme à contre-temps.

Que dit-il, cet intempestif, dans Le Prince ? Le politique doit se conduire selon une exacte observation des hommes. Les “ hommes changent volontiers de maître, pensant rencontrer mieux ”. Cette propension à la versatilité explique l’instabilité des régimes tout en procurant une leçon de politique : il faut toujours être sur ses gardes, nul pouvoir ne se possédant définitivement. Des traits constants dessinent l’humanité : “ les hommes se doivent ou se caresser ou s’occire ; car ils se vengent des légères injures, et des grandes ils ne peuvent ; de sorte que le tort qui se fait à l’homme doit être tel qu’on n’en craigne point la vengeance… ”. Ou bien : “ c’est certes chose fort ordinaire, et selon nature, que le désir de conquérir ”. Et ceci : “ les hommes hésitent moins à nuire à un homme qui se fait aimer qu’à un autre qui se fait redouter ”. Les événements surviennent non en fonction d’une finalité ou de la volonté de Dieu, mais d’une logique aussi observable que celle guidant les comportements humains. Sur cette logique des événements, Machiavel est disert : “ une guerre ne se peut éviter, mais seulement se  diffère à l’avantage d’autrui ”. Ou encore : “ celui qui est cause qu’un autre devient puissant se ruine lui-même ”, ainsi “ causant en Italie la grandeur du Pape et de l’Espagne, les Français y ont causé leur propre ruine ”. La logique des armes mercenaires : “ si on perd on reste battu, et si on gagne on demeure leur prisonnier ”. Logique aussi : “ la haine s’acquiert autant par les bonnes œuvres que par les mauvaises ” par suite le prince, pour conserver ses Etats “ est souvent contraint de n’être pas bon ”.

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Et le prince, figure passagère de l’éternel politique, comment l’envisager ? On peut se faire prince par talent (tel François Sforza), on le peut par fortune (tel César Borgia). Le fondement de la politique repose dans la guerre (Julien Freund et Carl Schmitt le retiendront) : “ un prince ne doit avoir ni autre objet ni autre penser, ni prendre autre matière à cœur que le fait de la guerre et l’organisation militaire ”. Le prince doit savoir imiter et le lion et le renard : “  être renard pour connaître les filets, et lion pour connaître les loups ”. Toute l’attention du prince doit se porter sur les sentiments du peuple à son endroit. L’énoncé “ qui devient prince par l’aide du peuple, il le doit toujours maintenir en amitié ” en appelle un autre, encore plus important : tout prince “ doit sur toutes choses chercher à gagner à soi le peuple ”. Ne voyons pas ici le concept moderne de peuple, un sujet politique; le peuple s’identifie à la plèbe, une force passionnelle. Un conseil en découle:  “ les princes doivent faire tenir par d’autres les rôles qui attirent rancune, mais ceux qui apportent reconnaissance les prendre pour eux-mêmes ”. La politique est la guerre entre les loups, pas la guerre contre la plèbe. Ainsi la pensée de Machiavel se situe-telle à mille lieues de la tyrannie anti-populaire, de la dictature et du totalitarisme. Elle n’est pas non plus une utopie, forme pensée pour la première fois par un contemporain de Machiavel, Thomas More. L’utopie est totalitaire, tandis que la principauté machiavélienne est un lieu de violence parce que la liberté du désir de conquête ne peut jamais être contenue définitivement.

Pourquoi tant de haine contre Machiavel ? Son livre convoque à paraître une vérité dont l’humanité veut ignorer l’existence sans pouvoir l’éloigner de ses yeux. Quelque chose dont le germe ou le grain sommeille en chacun de nous, hommes et femmes ordinaires. Quelle chose? Ni héros grec, ni monarque médiéval oint de Dieu, le prince machiavélien n’est pas d’une autre nature; il est chacun d’entre nous, possédant l’anneau de Gygès, il fait ce que nous ferions tous dans des circonstances analogues, et, il est aussi ce que nous faisons en petit, chacun d’entre nous, en dehors de la politique, chaque jour. Le prince, c’est l’homme ordinaire en grand, l’homme ordinaire libéré. Le second scandale de l’œuvre de Machiavel se dévoile: le prince n’est personne d’autre que chacun d’entre nous. La révélation de notre parenté secrète avec le prince rend Machiavel insupportable. En décrivant la politique, Machiavel nous tend un miroir, renvoyant une image si vraie et si difforme de nous-mêmes que nous ne la supportons pas.

Mais peut-être la haine se justifie-t-elle de la définitive déception que la vérité machiavélienne adresse à toutes les illusions humaines ? Dans ce cas, la haine anti-machiavélienne serait comparable à la haine anti-freudienne. La Bible et le Capital dessinent conjointement un horizon de salut, livres prophétiques promettant à l’humanité la fin de la vallée des larmes, un avenir radieux. Le Prince au contraire ne promet rien. Si gît une prophétie en lui, elle s’appelle répétition : dans le futur, se répétera ce que nous avons sous les yeux, qui s’est déjà produit. Ecoutons-le : “ les hommes marchent toujours par les chemins frayés par d’autres […] ils se gouvernent en leurs faits par imitation ”. Les cités changent, les techniques progressent, les hommes se répètent. Cette répétition ne repose nullement sur l’affirmation d’une nature humaine – ce qui serait de la métaphysique, tour d’esprit éloigné de Machiavel – mais sur la considération de la logique des situations humaines et des passions qui les investissent – ce qui est une mécanique des forces et des passions. Ce point de vue sur l’homme est beaucoup plus subtil qu’un banal pessimisme anthropologique. L’homme est toujours en situation, donc il est toujours méchant. Il est méchant, et non mauvais – mauvais est un terme de morale, renvoyant à une essence, un jugement n’entrant pas dans la perspective machiavélienne, tandis que méchant demeure un  terme descriptif, suggérant qu’il ne peut en aller autrement. Se montre alors le troisième scandale de Machiavel: le mal n’est pas condamnable, puisque, loin de résulter d’une mauvaise nature des hommes (écho du  péché originel), il suit de la logique situationnelle s’imposant à eux. L’homme n’est pas mauvais, il est méchant: la méchanceté est constante sans pour autant être de nature.

Machiavel prend place dans la galerie des auteurs tenus à jamais pour ennemis de l’humanité. Et cela, du fait que sa pensée n’est en aucune façon sauvable par la morale ou l’optimisme anthropologique. Il est beaucoup plus désespérant que Hobbes, chez qui le contrat neutralise la méchanceté, spontanée plutôt que naturelle, de l’homme. Au contraire, cette méchanceté spontanée forme chez Machiavel la matière sur laquelle travaille le politique. Elle est la toile dans laquelle la politique taille son habit (la cité, l’Etat). Tandis que chez Hobbes la politique inhibe cette méchanceté, chez Machiavel elle se sert de cette méchanceté comme le sculpteur se sert du marbre pour sa statue. Ici se présente le quatrième scandale de Machiavel: la politique ne promet aucune rédemption de la méchanceté, mais sa reconduction à l’infini.

Nulle doctrine politique ne se trouve dans Le Prince. Plus: on n’y rencontre aucune critique directe des théories politiques existantes. Machiavel est un penseur politique sans philosophie politique. Construit sur ce vide philosophique, son ouvrage est une éclaircie, un dévoilement : la clairière de la politique. Elle livre à la visibilité la pure politique. Avant Machiavel, la politique était recouverte par des philosophies, des mythes, des religions, des considérations morales; elle demeurait invisible. La pensée politique – sous la forme des philosophies politiques – empêchait de voir et regarder la politique dans son effectivité (“ il m’a semblé plus convenable de suivre la vérité effective de la chose que son imagination ”). Après lui, après l’émergence de l’Etat moderne comme solution aux déchirements de l’Europe, se développeront les idéologies politiques, le progressisme, le marxisme, l’anarchisme, le libéralisme, tout un ensemble de dispositifs théoriques qui, du point de vue de la connaissance de la politique, reviendront au même que celui qui précéda Machiavel, empêcher de voir. L’œuvre de Machiavel est l’éclaircie entre deux nuits politiques, deux périodes où la politique tout en continuant de se pratiquer est occultée par les philosophies politiques. L’absence de philosophie politique conditionne l’accès à la vérité.

Les quatre scandales du Prince de Machiavel (la politique traitée comme une histoire naturelle; l’identité entre le prince et chacun de nous; l’homme étant méchant sans être mauvais; aucun horizon de rédemption ne se dégageant de la politique) se ramènent à un seul: Machiavel rend visible par l’écriture ce qui est fait pour ne pas être regardé, pour demeurer caché. Comme la nature selon Héraclite, la politique, en son essence, aime à se cacher,  à se rendre invisible derrière ces voiles que sont les doctrines, les idéologies, les philosophies. L’écriture de Machiavel est analogue à la peinture, occupée à rendre visible l’invisible. Mais Le Prince peint ce qu’il ne faut pas peindre, visibilise ce qui, par nature, répugne à la visibilité: la politique. D’où son éternel scandale : demain comme hier.

Robert Redeker (La Vanvole, 21 juin 2017)

mercredi, 08 novembre 2017

Comment Tocqueville inspira Soljenitsyne

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Comment Tocqueville inspira Soljenitsyne

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

La dégénérescence médiatique et intellectuelle fait de Soljenitsyne un grand-russe orthodoxe; or Tocqueville n’est jamais loin de lui. On fait quelques rappels et puis on établira quelques puissantes et frappantes ressemblances entre la pensée du libéral français et du grand-russe réactionnaire:

Rappelons ces extraits de Harvard (1978)  :

« Il y a trois ans, aux États-Unis, j'ai été amené à dire des choses que l'on a rejetées, qui ont paru inacceptables.

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui acquiescent à mes propos d'alors...

Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. »

Fatigués de nos fonctionnaires et bureaucrates européens ? Soljenitsyne :

« Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un État sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu'on se place. »

Cette fatigue de la volonté dénoncée par Soljenitsyne (comparez Vladimir Poutine aux ludions et pions de l’Europe, ou aux marionnettes US) est aussi devinée cent ans par notre Tocqueville à propos de notre enseignement de… l’histoire :

« On dirait, en parcourant les histoires écrites de notre temps, que l’homme ne peut rien, ni sur lui, ni autour de lui. Les historiens de l’Antiquité enseignaient à commander, ceux de nos jours n’apprennent guère qu’à obéir. Dans leurs écrits, l’auteur paraît souvent grand, mais l’humanité est toujours petite.

Si cette doctrine de la fatalité, qui a tant d’attraits pour ceux qui écrivent l’histoire dans les temps démocratiques, passant des écrivains à leurs lecteurs, pénétrait ainsi la masse entière des citoyens et s’emparait de l’esprit public, on peut prévoir qu’elle paralyserait bientôt le mouvement des sociétés nouvelles et réduirait les chrétiens en Turcs. »

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Soljenitsyne remarque que l’argent ne fait pas le bonheur, que le bonheur matérialiste, démocratique est pauvre :

« Aujourd'hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un État assurant le bien-être général. Chaque citoyen s'est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu'il a cours depuis ces mêmes décennies. »

L’âme matérialiste est inquiète en occident, comme chez Tocqueville :

« Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : le désir permanent de posséder toujours plus et d'avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l'Ouest les marques de l'inquiétude et même de la dépression, bien qu'il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n'ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel. »

Voilà Tocqueville :

« L’aspect de la société américaine est agité, parce que les hommes et les choses changent constamment ; et il est monotone, parce que tous les changements sont pareils. Les hommes qui vivent dans les temps démocratiques ont beaucoup de passions ; mais la plupart de leurs Passions aboutissent à l’amour des richesses ou en sortent. Cela ne vient pas de ce que leurs âmes sont plus petites, mais de ce que l’importance de l’argent est alors réellement plus grande. »

Ailleurs :

« J’ai vu en Amérique les hommes les plus libres et les plus éclairés, placés dans la condition la plus heureuse qui soit au monde ; il m’a semblé qu’une sorte de nuage couvrait habituellement leurs traits ; ils m’ont paru graves et presque tristes jusque dans leurs plaisirs. »

Le confort selon Soljenitsyne corrompt l’âme…

« Même la biologie nous enseigne qu'un haut degré de confort n'est pas bon pour l'organisme. Aujourd'hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux »

Tocqueville, dans une page sublime :

« L’habitant des États-Unis s’attache aux biens de ce monde, comme s’il était assuré de ne point mourir, et il met tant de précipitation à saisir ceux qui passent à sa portée, qu’on dirait qu’il craint à chaque instant de cesser de vivre avant d’en avoir joui. Il les saisit tous, mais sans les étreindre, et il les laisse bientôt échapper de ses mains pour courir après des jouissances nouvelles. »

Plus loin :

« Le goût des jouissances matérielles doit être considéré comme la source première de cette inquiétude secrète qui se révèle dans les actions des Américains, et de cette inconstance dont ils donnent journellement l’exemple. »

Et la presse ?  Pensez à Tocqueville qui écrit que « le seul moyen de neutraliser les effets des journaux est d'en multiplier le nombre ». Soljenitsyne :

« La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? ... Quelle responsabilité s'exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l'encontre de son lectorat, ou de l'histoire ? S'ils ont trompé l'opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l'État, avons-nous le souvenir d'un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s'en tirera toujours. »

Soljenitsyne se soucie des Fake news. La pensée en devient jetable, vulgaire et superficielle, comme les hommes qu’elle informe :

« Ces mensonges s'installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? »

tocam.jpgBien avant Daech, Soljenitsyne observe :

« La presse peut jouer le rôle d'opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d'État touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l'intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ».

Et comme avant lui Théophraste, Thoreau ou Guy Debord, le grand auteur tape sur les ragots et sur cette préoccupation pour les vétilles :

« Mais c'est un slogan faux, fruit d'une époque fausse ; d'une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n'a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d'information... »

Soljenitsyne reprend aussi le concept de tyrannie de la majorité :

« …on découvre un courant général d'idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d'esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d'intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d'une compétition mais d'une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant. »

Le conformisme intellectuel est terrible, et la morale, du troupeau :

« Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. Sans qu'il y ait, comme à l'Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d'apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l'apparition d'un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. »

Soljenitsyne évoque notre irréligiosité :

« Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d'une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse. Elle a fait de l'homme la mesure de toutes choses sur terre, l'homme imparfait, qui n'est jamais dénué d'orgueil, d'égoïsme, d'envie, de vanité, et tant d'autres défauts. »

Mais Tocqueville disait, toujours dans sa Démocratie jamais lue :

« …je jugerais que les citoyens risquent moins de s’abrutir en pensant que leur âme va passer dans le corps d’un porc, qu’en croyant qu’elle n’est rien. »

Et Soljenitsyne d’ajouter :

« Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. À l'Est, c'est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l'Ouest la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n'est même pas le fait du monde éclaté, c'est que les principaux morceaux en soient atteints d'une maladie analogue. »

Sur le commerce, je citerai mon Louis-Ferdinand Céline :

« Ma lassitude s’aggravait devant ces étendues de façades, cette monotonie gonflée de pavés, de briques et de travées à l’infini et de commerce et de commerce encore, ce chancre du monde, éclatant en réclames prometteuses et pustulentes. Cent mille mensonges radoteux. »

Ce Soljenitsyne est bien proche de nos auteurs…

Bibliographie

Nicolas Bonnal – Céline, pacifiste enragé (Amazon.fr)

Céline -Voyage.

Soljenitsyne – Discours de Harvard (téléchargeable partout)

Tocqueville – De la démocratie en Amérique, II, deuxième partie, chapitre XIII et XX ; troisième partie, chapitre XVII

mardi, 07 novembre 2017

Redécouvrir et relire Proudhon avec Thibault Isabel

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Les Entretiens de Métamag :

Redécouvrir et relire Proudhon avec Thibault Isabel

Thibault Isabel
Docteur ès lettres, philosophe, rédacteur en chef de la revue Krisis et collaborateur d’Éléments

Interviewé par Michel Lhomme

Ex: https://metamag.fr

Juste avant l’été, le rédacteur en chef de Krisis, Thibaut Isabel faisait l’événement dans les milieux de la dissidence avec la publication de son livre sur Proudhon, Pierre Joseph Proudhon, l’anarchie sans désordre, préfacé par Michel Onfray et publié aux éditions Autrement. Le romancier Alain Santacreu l’avait recensé pour Métamag  et un colloque Krisis auquel nous vous avions conviés avait même été organisé à l’espace Moncassin dans le 15ème arrondissement.


Proudhon n’a jamais été aussi actuel et on attend avec impatience la sortie annoncée du prochain numéro de Nouvelle Ecole consacré à l’anarchiste français. C’était le moment opportun pour nous entretenir avec l’auteur Thibaut Isabel. Métamag.

Michel Lhomme : Votre dernier livre sur Pierre-Joseph Proudhon est sorti en juin. Pourriez-vous nous le présenter en quelques mots et surtout nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à l’écrire ?

Thibaut Isabel : Depuis l’effondrement du communisme, le monde moderne vit dans l’idée qu’il n’existe plus d’alternative viable au libéralisme. « There is no alternative », disait déjà Margaret Thatcher. Or, nous oublions tout simplement que ces alternatives existent toujours, à condition d’en revenir au socialisme pré-marxiste, qui n’avait rien à voir avec le collectivisme stalinien. Proudhon offre une pensée contestataire à visage humain, incompatible avec le goulag et la dictature du prolétariat. Il nous permet ainsi de repenser le présent à la lueur des idéaux oubliés du passé. C’est pour cela qu’il est utile et qu’il nous faut absolument le relire.

proudhonYhIs.jpgProudhon est un autodidacte, il vient d’un milieu modeste et, toute sa vie, il devra travailler pour vivre. Il sera ouvrier, puis deviendra rapidement travailleur indépendant en gérant sa propre imprimerie. En quoi cela a-t-il influencé ses réflexions ?

Proudhon avait horreur du salariat. Il trouvait humiliant d’avoir à travailler pour un patron, de ne pas pouvoir conduire soi-même sa propre activité professionnelle. La vertu cardinale était à ses yeux la responsabilité, l’autonomie. Tout homme devrait être maître de ses actes et de sa destinée. C’est pourquoi le philosophe bisontin nourrissait un amour sans borne du travail indépendant. Toute sa doctrine économique et politique visait à rendre le travail plus libre, pour affranchir les individus de la domination des puissants.

Proudhon – penseur de l’équilibre – est une référence pour des intellectuels venus d’horizons très divers. En quoi peut-on dire qu’il est transcourant, non conforme ? Quelles furent ses influences ? Ses héritiers ?

Proudhon n’était ni capitaliste, ni communiste. Or, toute la pensée politique du XXe siècle a été structurée autour de cette opposition du capitalisme et du communisme. Dès lors, la pensée proudhonienne nous paraît aujourd’hui inclassable, puisqu’elle n’est pas réductible à un camp clair et bien défini sur l’axe droite-gauche tel que nous le concevons. La plupart des héritiers de Proudhon échappaient eux-mêmes à ce clivage, comme le montrent très bien les non-conformistes des années 1930, notamment les jeunes intellectuels personnalistes rassemblés à l’époque autour d’Alexandre Marc. Quant aux auteurs qui ont influencé Proudhon, il faudrait à vrai dire citer tous les pionniers du socialisme : Cabet, Owen, Leroux, Fourier, etc. Nous avons tendance à oublier qu’il existait alors une vaste nébuleuse d’intellectuels antilibéraux de grand talent, qui n’étaient pas stricto sensu communistes.

Longtemps après sa mort, l’écrivain catholique Georges Bernanos a pu dire de la civilisation moderne qu’elle était avant tout « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Quel point de vue Proudhon portait-il sur la Modernité et la philosophie du Progrès ?

Proudhon défendait le progrès social, mais il ne croyait pas au Progrès linéaire de la civilisation. Il était même convaincu que le progressisme revêtait un caractère utopique et chimérique. C’est pourquoi il se disait simultanément partisan du progrès et de la conservation, parce que nous avons en réalité besoin des deux pour faire fructifier sainement toute société.

Proudhon a tenu des propos particulièrement virulents à l’encontre des institutions ecclésiastiques mais se montrait en parallèle très conservateur sur le plan des mœurs. Quel était son rapport à la question religieuse ? Et à la morale ? Était-il puritain ?

Proudhon était passionné par la religion. D’abord élevé dans le catholicisme par sa mère, il s’est affranchi progressivement de la mystique théiste pour s’orienter vers une sorte de panthéisme, sous l’influence notamment de la franc-maçonnerie traditionnelle (et non bien sûr de la franc-maçonnerie laïque). Proudhon se sentait très proche des vieilles cultures païennes, et il s’intéressait en particulier au taoïsme, voire à la religion amérindienne.

Sur la question des mœurs, il défendait des positions extrêmement rigides, que plus personne ou presque ne pourrait reprendre à son compte aujourd’hui, même dans les milieux catholiques traditionalistes. C’est à mon avis l’aspect de sa pensée qui a le plus vieilli. Il est en tout cas intéressant de constater que cet auteur, généralement considéré comme le pionnier de la gauche radicale en France, aurait objectivement été classé à l’extrême droite s’il avait vécu de nos jours, en défendant les idées morales qui étaient les siennes à l’époque.

D’ailleurs, dans De la justice dans la révolution et dans l’Église, puis dans La Pornocratie (paru incomplet et posthume), Proudhon peut bien être considéré comme misogyne. Alors, sa vision de la Femme et sa critique de la féminisation de la société sont-elles intrinsèques à ses réflexions économiques et politiques ?

Non, très franchement, je ne le pense pas. Les propos de Proudhon sur les femmes, quoi qu’effectivement assez lamentables de mon point de vue, n’ont pas eu d’incidence sur sa pensée philosophique profonde. J’irais même jusqu’à dire qu’il n’a pas réussi à étendre les principes de sa philosophie à la question des sexes, ce qui lui aurait permis de préfigurer l’idée d’« équité dans la différence », chère à bien des féministes différentialistes contemporaines. Proudhon en était resté à l’infériorité constitutive des femmes, qu’il ne nuançait que dans de rares développements de ses livres. Il restait en cela fidèle à la vision extrêmement patriarcale de la bourgeoisie industrielle.

Les réflexions proudhoniennes sur la propriété sont aujourd’hui particulièrement galvaudées et, d’ailleurs, on ne cite très souvent Proudhon en terminale que pour son rejet de la propriété privée. Pourriez-vous donc nous éclairer un peu plus sur sa fameuse phrase « La propriété c’est le vol » ?

Proudhon était au fond un défenseur acharné de la petite propriété privée, qui lui semblait constituer un frein au développement du grand capital. Quand Proudhon affirme que « la propriété c’est le vol », il dénonce seulement l’accumulation du capital, c’est-à-dire le fait que les petits propriétaires indépendants soient peu à peu remplacés par de grands propriétaires capitalistes. Je reconnais que les premières œuvres de Proudhon restaient quelque peu ambigües sur cette distinction, mais les dernières œuvres rectifieront le tir d’une manière tout à fait explicite.

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On dit Proudhon socialiste, anarchiste, vous parlez d”’une anarchie sans désordre” mais peut-on également le considérer comme un précurseur de la Décroissance ou un écologiste ?

Au sens propre, non, car, au XIXe siècle, il n’y avait guère de sens à réclamer davantage de frugalité pour lutter contre la dévastation écologique, dont les effets n’étaient pas aussi visibles qu’aujourd’hui. En revanche, Proudhon a incontestablement été l’un des grands précurseurs de la décroissance par sa philosophie générale. Il remettait en cause l’accumulation de richesses pour elle-même et privilégiait le qualitatif au quantitatif. On trouve également chez lui un rapport à la nature quasi-religieux. En comparaison des écologistes actuels, je dirais qu’il était moins conscient des dangers de l’industrie que nous ne le sommes, mais qu’il avait anticipé la critique de la société de consommation.

La Commune de Paris, survenue quelques années après sa mort, peut-elle être vue comme une tentative (consciente ou inconsciente) de mise en pratique de certaines de ses idées ?

Assurément, d’autant que la majeure partie des communards étaient proudhoniens ! N’oublions pas que, jusqu’à cette époque, Proudhon était beaucoup plus célèbre que Marx… En revanche, la défaite de la Commune va mettre un coup d’arrêt à l’expansion du proudhonisme en France : beaucoup de proudhoniens perdront d’ailleurs la vie au cours des événements de cette période, ou s’exileront à l’étranger. Je sais d’ailleurs que vous avez vous-même beaucoup travaillé sur l’influence de Proudhon en Amérique latine, par exemple. Mais c’est sans doute en Russie que Proudhon aura l’influence la plus profonde et la plus pérenne, notamment sur les intellectuels populistes (Herzen, Tchernychevski, etc.).

Proudhon fut député socialiste et affirma qu’« il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle l’Assemblée Nationale pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent ». Cette phrase est pour le moins assassine ! Quelle était sa vision générale de la Démocratie et de la Politique ?

Proudhon n’aimait guère la démocratie parlementaire, qu’il jugeait technocratique et potentiellement dictatoriale. Il n’aurait eu aucun goût pour les « présidents jupitériens », j’imagine. Proudhon défendait plutôt les démocraties locales et décentralisées, où le peuple s’exprime d’une manière beaucoup plus directe et participe au pouvoir.

Proudhon considérait que la France est « le pays du juste milieu et de la stabilité… en dépit de son esprit frondeur, de son goût pour les nouveautés et de son indiscipline » et qu’en chaque français sommeille « un conservateur doublé d’un révolutionnaire ». Quel rapport Proudhon, fier franc-comtois, défenseur du fédéralisme et du principe de subsidiarité, entretenait-il à la Nation française et à l’État français, voire au conservatisme et à la Tradition ?

Proudhon n’aimait pas beaucoup la France, qu’il associait au jacobinisme, à la centralisation et au mépris des particularismes locaux. Il était plutôt régionaliste. Mais son fédéralisme impliquait la coexistence de différentes échelles de pouvoir, où la France aurait pu servir de strate intermédiaire entre la région et l’Europe. Proudhon estimait que la nationalité française était une abstraction et qu’elle ne correspondait à aucune patrie charnelle. Seules les régions avaient réellement grâce à ses yeux, parce qu’elles sont plus proches de l’homme. Le terroir, c’est ce qui nous entoure de manière immédiate et façonne concrètement notre manière de voir le monde.

On peut tout à fait considérer que Proudhon était conservateur. L’hostilité à l’État bureaucratique et la défense des corps intermédiaires se retrouvait en des termes très proches chez des auteurs comme Burke, Tocqueville ou Burckhardt, qui ont compté parmi les chefs de file de la tradition conservatrice. Proudhon estimait que le progrès allait de pair avec la conservation : prétendre progresser sans rien conserver de ce qui mérite de l’être serait une grave erreur. On ne doit pas faire table rase du passé. Dire que Proudhon était un tenant de la Tradition serait en revanche excessif. Ses positions spirituelles le rapprochaient des religions anciennes, du christianisme hérétique et de certains aspects de l’ésotérisme, mais il n’en avait qu’une connaissance très parcellaire.

Quels conseils de lecture donneriez-vous à un jeune militant ? Quels sont les œuvres à lire en priorité de Pierre Joseph Proudhon ?

C’est assez difficile à dire. Proudhon écrivait beaucoup, et il avait la fâcheuse habitude de diluer sa pensée dans d’interminables digressions qui ont parfois mal résisté à l’épreuve du temps. Ses derniers livres sont à mon avis les meilleurs, et les plus synthétiques. Je recommanderais donc surtout Du principe fédératif, qui condense ses principales réflexions politiques autour de la démocratie.

Dans son livre sur la Justice, Proudhon adopte un ton kantien dans ses analyses (la justice comme respect d’autrui et égalité fondamentale) et cela nous rappelle beaucoup la théorie contemporaine de la Justice de John Rawls. On sait qu’à John Rawls vont répondre les communautariens américains et canadiens des années 1970-1980. Or, ne décèle-t-on pas chez Proudhon cette même tension, mais ici réunie dans la même œuvre, entre l’idéal de Justice et le Bien commun ? Est-ce le principe fédératif qui est appelé à résoudre cette tension de manière politique ou les communautés autonomes ? Et quelles communautés ? Sur quelles identités se fonderont-elles à l’avenir ?

Dans la première partie de sa vie, Proudhon est resté enferré dans une conception déontologique de la Justice qui devait en effet beaucoup à Kant, ne serait-ce qu’indirectement. Il épousera aussi brièvement une vision du monde positiviste, sous l’influence de Saint-Simon et de Comte. Mais il s’en dégagera au profit d’une perspective qu’on pourrait qualifier de pragmatiste, et même de pré-nietzschéenne par moments. Son livre sur la Justice est le témoin de cette phase de transition.

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Le dernier Proudhon aurait à mon avis clairement penché en faveur de la pensée communautarienne défendue par Charles Taylor, Michael Sandel et Alasdair MacIntyre (et non en faveur de John Rawls). Sa remise en cause du contrat social individualiste devient d’ailleurs patente vers la fin de sa vie, même s’il restera toujours sensible à la défense des libertés individuelles contre l’oppression communautaire. Proudhon considère en définitive que l’individu et le groupe doivent s’équilibrer : la communauté ne doit pas opprimer les personnes singulières, mais les individus ne doivent pas non plus se retrancher de la collectivité. L’ensemble de notre vie politique et sociale gagnerait en d’autres termes à s’inscrire dans un processus fédéral : l’homme est ouvert à ses communautés, et les communautés sont ouvertes à la fédération. Au lieu de mettre l’accent sur un pouvoir technocratique centralisé, comme dans l’Union européenne du XXIe siècle, on laissera l’essentiel des prérogatives aux pouvoirs communaux. Pour autant, le fédéralisme établira un lien national et continental entre les différentes communes, afin d’assurer l’alliance de l’Un et du Multiple.
En matière d’identité, enfin, le philosophe défendait les identités concrètes contre les identités abstraites. Cela signifie qu’il accordait la prééminence au local contre le global. La nation, à ses yeux, n’était qu’une première étape vers un processus de globalisation plus large. C’est en ce sens que Proudhon était anti-nationaliste et favorable aux régions. Le cœur du pouvoir mérite de rester entre les mains des citoyens. Seule la commune peut y pourvoir.

Thibaut Isabel, Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre, préface de Michel Onfray, Autrement Paris 2017, 18,50.

Thibault Isabel: Proudhon l'anarchiste, penseur pour 2017?

La plupart des institutions politiques et médiatiques semblent se mettre En Marche ! C'est ce contexte étrange qui pourrait servir une idéologie jusque-là marginale mais qui pourrait de nouveau faire parler d'elle. Nous avons reçu Thibault Isabel, Rédacteur-en-chef de la revue Krisis et auteur de l'essai 'Proudhon, l'anarchie dans le désordre' (Autrement, 2017)
 

jeudi, 02 novembre 2017

Quelques notes sur Julien Freund

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Quelques notes sur Julien Freund

« Il n’y a de politique que là où il y a un ennemi réel ou virtuel. »  (Julien Freund)

« Une société sans ennemi qui voudrait faire régner la paix par la justice, c’est-à-dire par le droit et la morale, se transformerait en un royaume de juges et de coupables. »  (Julien Freund)

Ce que des esprits diversement « distingués » ne semblent pas vouloir comprendre, c’est que la notion d’AMI et la notion d’ENNEMI (envisagées dans un sens précis, nullement idéalisé) sont indispensables à la vie. Le « On-est-tous-frères » s’apparente à une mauvaise pub, à un mauvais jingle. L’ennemi explicitement désigné comme tel est nécessaire au décisionnisme politique. La désignation ami/ennemi doit être envisagée sans trêve et d’abord parce que si nous la refusons d’autres se chargeront de la placer en lettres de feu devant nos yeux. Et il sera probablement trop tard pour nous, car ces lettres nous auront rendu aveugles, incapables de porter des coups d’attaque et de défense.

JF-EsPol.jpgLa rencontre Carl Schmitt et Julien Freund, à Colmar, en 1959, Julien Freund qui confia : « J’avais compris jusqu’alors que la politique avait pour fondement une lutte opposant des adversaires. Je découvris la notion d’ennemi avec toute sa pesanteur politique, ce qui m’ouvrait des perspectives nouvelles sur les notions de guerre et de paix ». Ce concept ami/ennemi est inconfortable puisqu’il donne une consistance à la guerre, ce que refusent les pacifistes qui envisagent l’avènement de la paix perpétuelle comme d’autres envisagent la Parousie.

Pour Carl Schmitt : « La distinction spécifique du politique (…)  c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. Elle fournit un principe d’identification qui a valeur de critère et non une définition exhaustive ou compréhensive ». La dialectique ami/ennemi est un concept autonome qui ne doit dans aucun cas ni sous aucun prétexte accepter l’immixtion de la morale (bien/mal) ou de l’esthétique (beauté/laideur). Pour Julien Freund le concept ami/ennemi (voir détails) est un présupposé parmi d’autres. Il n’est pas comme chez Carl Schmitt un critère ultime du politique.

Chez Julien Freund, le présupposé ami/ennemi est garant de la permanence des unités politiques. La lutte qui est propre à cette relation dialectique a des formes aussi diverses que variées. Elle s’affirme dès que l’ennemi s’affirme. Chez Carl Schmitt la notion de l’unicité du concept ami/ennemi dans l’essence du politique peut contribuer à renverser la formule de Clausewitz et admettre que la guerre ne serait plus le prolongement de la politique mais sa nature même. Ce n’est pas ce que Freund envisage.

Une politique équilibrée, une politique qui se respecte, doit donc identifier avec précision l’ennemi et pour diverses raisons ; d’abord parce que c’est avec lui que l’on conclue la paix et non avec l’ami. Identifier l’ennemi, c’est aussi éloigner un danger majeur : un ennemi qui n’est pas reconnu comme tel est autrement plus dangereux qu’un ennemi clairement reconnu. Julien Freund écrit : « Ce qui nous paraît déterminant, c’est que la non reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix. Avec qui la faire, s’il n’y a plus d’ennemis ? Elle ne s’établit pas d’elle-même par l’adhésion des hommes à l’une ou l’autre doctrine pacifiste, surtout que leur nombre suscite une rivalité qui peut aller jusqu’à l’inimitié, sans compter que les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante ». Qui dit mieux ? On commence par du simple bon sens – comment faire la paix s’il n’y a pas d’ennemi ? – et on est sans illusion sur les moyens pacifiques – le pacifisme qui n’a empêché aucun désastre et qui en a même suscités. Il faut déchirer ces écrans qui empêchent de voir et de porter les coups nécessaires, attaque et défense.

Il faut se battre pour la paix, bien sûr – jouer les va-t’en-guerre, c’est faire preuve d’immaturité politique –, tout en se délestant des illusions pacifistes. Il ne faut pas se chercher des ennemis, s’en créer, compulsivement, à la manière des États-Unis depuis les années 1990 et leur guerre avec l’Irak, par exemple. Mais il ne peut y avoir de politique (le jeu des nations dans le jeu mondial) si les collectivités n’identifient pas leurs ennemis, des ennemis qui ne sont pas nécessairement d’autres États, qui sont de moins en moins d’autres États, et qui peuvent être par exemple des organisations telles que des O.N.G. L’ennemi est plus diffus dans un monde diffus, plus liquide dans notre liquid modernity, il n’en existe pas moins ; et il faut l’identifier pour survivre car une nation ne peut pas ne pas en avoir ; elle peut l’ignorer, il n’en existe pas moins.

JF-Dec.jpgLes conflits sont de plus en plus économiques. Ils l’ont toujours été d’une manière ou d’une autre mais dans des proportions variables et parfois assez limitées. Aujourd’hui, l’économique draine tout à lui, et toujours plus frénétiquement, ce qui explique la liquidité des conflits, le fait qu’ils se jouent des frontières et se dématérialisent. Fini les lignes de front et les tirs de barrage. Le conflit est permanent et de ce fait d’une intensité moindre ; mais il est permanent – plus de trêve. Les médias sous toutes leurs formes ne cessent de nous le rappeler, implicitement ou explicitement. Mais comment départager vainqueur et vaincu ? Il n’y en a tout simplement plus, le conflit est devenu perpétuel.

Le postulat ami/ennemi que propose Julien Freund s’inspire de la vision de Carl Schmitt tout en s’en différenciant. Il reste pertinent. Le livre central de Julien Freund, « L’Essence du politique », peut être le point de départ d’une réflexion aussi ample que profonde sur notre monde et un moyen de l’appréhender dans sa violence, ses enjeux et ses compétitions. « L’Essence du politique » a été publié chez Dalloz, en 2003, avec une préface de Pierre-André Taguieff, auteur d’un essai, « Julien Freund. Au cœur du politique ».

Dans une présentation à un petit volume d’études de Julien Freund, Jean-René Tréanton écrit : « Ce qui irrite au plus haut point Julien Freund, c’est (…) la pensée sentimentale, le penchant à éluder les problèmes, l’indulgence et l’humanitarisme qui ne sont que des faux-fuyants ». Nos petits mielleux qui répandent leur sirop poisseux sur les plateaux de télévision et dans les colonnes des journaux devraient lire et relire Julien Freund, cet ennemi du faux-fuyant et de la langue de bois qui se qualifiait volontiers de réactionnaire de gauche.

Ci-joint, un passionnant article de Jean-Michel Le Bot intitulé « Julien Freund et L’Essence du politique » :

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01060003/docum...

Ci-joint, un article à caractère synthétique de Bernard Quesnay intitulé « La grande leçon de politique de Julien Freund » :

http://grece-fr.com/?p=3717

Et rien de mieux pour entrer dans la pensée d’un homme que l’interview. Ci-joint donc, une conversation entre Julien Freund et Pierre Bérard :

http://grece-fr.com/?p=3510

Enfin, divers documents sur Julien Freund, dont un entretien :

http://www.archiveseroe.eu/julien-freund-a48392378

« (…) vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » (Julien Freund)

« Une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres, cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique. Là où il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maîtres. » (Julien Freund)

 

Olivier Ypsilantis

dimanche, 29 octobre 2017

Jérôme Fabiani, "Le Guide" - Théologie et politique en Iran depuis 1979

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Jérôme Fabiani, Le Guide

Théologie et politique en Iran depuis 1979

Compte rendu de Enki Baptiste

Ex: http://www.lesclesdumoyenorient.com

Cet ouvrage de synthèse sur les développements politiques et religieux en Iran depuis 1979 est le fruit d’un travail de mémoire réalisé par l’officier saint-cyrien Jérôme Fabiani. Divisé en quatre grandes parties, l’auteur adopte une démarche chronologique judicieuse permettant d’exposer au lecteur les spécificités des évolutions discursives et historiques marquantes du fait politique et social iranien.

Dans son introduction, J. Fabiani revient sur l’histoire iranienne du XXe siècle, un arrière-plan nécessaire pour saisir l’éruption révolutionnaire de 1979. En effet, la révolution islamique cristallise des tensions antagonistes relatives à trois thèmes : l’autoritarisme de la monarchie, l’ingérence étrangère dans le pays et le rapport de l’État au clergé et au fait religieux (p. 16). En fusionnant le religieux et le politique au sein d’une république islamique, l’ayatollah Khomeini réalise matériellement un projet islamiste déjà en maturation dans le courant du XXe siècle. La révolution ne mit toutefois jamais fin aux discussions sur les formes du politique ou sur le sécularisme. L’ouvrage vise justement à montrer la richesse des débats qui agitèrent - parfois violemment - l’Iran après 1979.

fab.jpgLa première partie de l’ouvrage est consacrée à un examen de la pensée de Khomeini avant 1979. Le lecteur y apprendra que dans son ouvrage Le Gouvernement du juriste, paru en 1970, Khomeini prend à contre-pied la tradition religieuse chiite qui se veut historiquement quiétiste et détachée des choses politiques. En théorisant l’institution du velayat-e faqih (traduit par le gouvernement du juriste ou du jurisconsulte), Khomeini entend répondre aux attentes messianiques chiites quant au retour de l’Imam caché (1) et « refonder le rapport des religions à l’autorité politique » (p. 25) en défendant un lien fondamental entre le domaine religieux et le domaine profane. Si ce projet est alors minoritaire au sein des intellectuels chiites, il a des précédents historiques importants : dès le XIIIe siècle, des penseurs ont imaginé une tutelle des mollahs sur la société afin de palier à l’absence de l’imam. Au XVIIe siècle, l’école osuli a créé le titre de marja-e taqlid (la source d’imitation), conçue comme une extension du pouvoir des imams. Le précédent le plus important est probablement celui de la période suivant de près la révolution constitutionnelle de 1905. En 1907, les religieux constitutionnalistes forment en effet un conseil religieux à même de contrôler la validité des lois (p. 28). J. Fabiani estime que Khomeini a synthétisé ces précédents tout en critiquant fermement le processus de sécularisation et de dé-islamisation engagé par le Shah à partir de 1970. Néanmoins, si la révolution fut islamiste, l’aura de Khomeini fut avant tout politique. Ce n’est qu’à partir de 1978, alors en exil à Paris, que Khomeini diffuse des enregistrements de discours mâtinés de références à la martyrologie chiite. Il procède alors à l’islamisation d’un mouvement avant tout social, dirigé contre la monarchie et la sécularisation à marche forcée menée par le Shah depuis la révolution blanche et les réformes de 1963. Le Shah était parvenu à s’aliéner l’intégralité des acteurs sociaux importants, du monde paysan aux grands propriétaires. Descendus dans la rue, ces acteurs participaient à une révolution nationale qui fut pourtant rapidement canalisée grâce à un dénominateur commun : l’islam (pp. 46-47). Le clergé chiite devint, en effet, un relai important de la contestation sûrement parce qu’il s’agissait là d’une institution bien ancrée dans le tissu social et fortement hiérarchisée.

J. Fabiani montre avec brio comment Khomeini verrouilla graduellement les postes clés du gouvernement, une fois le Shah en exil. Adoptant une position plus tranchée vis-à-vis des communistes, il apparut, dans un premier temps, comme une solution viable pour les puissances occidentales. La première constitution séculariste rassure les opposants à la théocratie. La constitution adoptée en décembre 1979 est en revanche beaucoup plus islamisée dans ses fondements. Mais paradoxalement, elle introduit également des notions temporelles, générant des contradictions. La souveraineté du peuple est ainsi reconnue afin de donner une dimension démocratique au régime et de contrebalancer l’esprit théocratique de l’État (p. 63). On notera aussi que le projet de Khomeini taillait une place non négligeable au concept de maslaha (intérêt public, raison d’État), une notion issue du fiqh sunnite historiquement écartée par la jurisprudence chiite comme une innovation (bida‘a), dans la mesure où elle subordonne le religieux aux exigences du fait politique.

Alors que, durant la période post-révolutionnaire, l’instauration du velayat-e faqih entraine l’opposition d’une partie du clergé, la guerre contre l’Irak donne l’opportunité à Khomeini de consolider son régime. Le Guide commence par créer une force paramilitaire : les Gardiens de la Révolution (Sepah-e Pasdaran). Rattachés directement au Guide, « les Pasdarans sont une élite imprégnée par le discours irano-chiite de l’ayatollah » (p. 70). Les créations du corps des Bassidji, une milice volontaire composée de jeunes Iraniens issus de familles défavorisées, et du Vevak, un service de renseignement, complètent l’emprise du Guide sur l’appareil militaire et la société civile. Couplée au renouveau d’un discours messianique puissant qui contribue à islamiser le conflit avec l’Irak voisin, la création de ces institutions est une étape importante dans le durcissement de l’appareil d’État iranien. Khomeini engage également un processus d’étatisation des institutions religieuses dont la finalité est de créer un clergé d’État. En introduisant les clercs acquis au régime dans le jeu politique, le Guide espérait réduire l’influence d’une partie du clergé traditionnel, manifestement opposée à la politique de Khomeini. Dans cette conception renouvelée du rôle du religieux en politique, le faqih est dépositaire de la Loi religieuse mais cette dernière ne détient pas la primauté sur la Loi de l’État. Ainsi, le droit d’interpréter la Loi islamique de façon autonome est retiré au clergé (p. 75). La primauté de l’intérêt de l’État se matérialise avec la création du Conseil de Discernement de l’intérêt supérieur du régime, en 1987/1988. Le concept de maslaha est ainsi officialisé, entrainant un paradoxal mouvement de sécularisation de la République islamique.

En 1989, Khomeini entame une révision constitutionnelle visant à assurer sa succession. Le texte renouvelé entérine le mouvement général de sécularisation amorcé au cours de la décennie 80 puisqu’il est stipulé que le Guide est avant tout le gardien de l’intérêt public et que ses compétences politiques doivent être le premier critère retenu pour son élection.

En juin 1989, lorsque Khomeini meurt, son successeur, Khameini fait face à des contestations grandissantes. Le clergé est de plus en plus divisé : on repère une frange acquise au régime, une partie quiétiste et attentiste et enfin une dernière frange plus marginalisée encore très opposée au principe même du velayat-e faqih (p. 92). Au-delà même de l’opposition au gouvernement du juriste, Khameini souffre d’un véritable manque de légitimité : il n’était qu’un simple hojatoleslam et n’avait guère les qualités pour être considéré comme une source d’imitation ou un représentant crédible des imams occultés. Afin de s’imposer, le nouveau Guide établit une liste des plus importantes autorités chiites du pays et étatise la gestion des dons d’argent au clergé (p. 95). Khameini entreprend également de saper l’autorité des institutions élues en s’appuyant majoritairement sur celles dépendant de son autorité, excluant ainsi le peuple iranien du jeu politique. D’une manière générale, les années post-Khomeini sont marquées par la confiscation rapide et efficace des postes clés de l’État par une minorité des clercs soumis au régime.

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La dimension autoritaire du régime n’empêche toutefois pas le développement d’un mouvement réformiste. Au tournant des années 90, le slogan fameux « l’islam est la solution » n’est plus porteur et l’engouement patriotique postrévolutionnaire et consécutif à la guerre contre l’Irak a singulièrement faibli. Le mouvement réformiste, quant à lui, inverse la conception dominante de la religion : il défend qu’afin de préserver l’islam, il est impératif de séparer la religion de la pratique du pouvoir (p.102).

Loin d’être monolithique, ce mouvement peut se diviser en trois grandes composantes. On retiendra qu’une frange de militants porte un projet de sécularisation de la société visant à préserver le caractère islamique de la société iranienne. On retrouve également un groupe d’intellectuels laïcs dont le militantisme vise à réduire l’intervention de l’État dans le champ de la société civile. Enfin, l’opposition est également menée par des intellectuels dits intermédiaires dont le discours est surtout axé sur la préservation des droits et des libertés. Disposant souvent des relais internationaux grâce à une diaspora conséquente, ces oppositions politiques réussirent à s’imposer comme d’importantes et possibles alternatives. Hors des frontières persanes, on citera aussi la prise de position de l’ayatollah Sistani qui s’oppose fermement à la collusion entre religion et politique.

L’objectif commun de ces mouvements d’opposition est de promouvoir un gouvernement qui puisse répondre aux besoins matériels du peuple afin que celui-ci puisse se consacrer entièrement à ses besoins religieux. Si ce projet ne recoupe pas les formes de sécularisation occidentale dans la mesure où l’islam reste une composante suffisamment importante pour interférer dans le débat public, le projet réformiste souhaite limiter considérablement le pouvoir d’orientation du régime en matière religieuse (pp. 107-108).

Élu sans contestation (69%) en 1997 comme président de la République, Khatami concrétise ce renouveau de la pensée du fait politique et religieux en Iran. Une sociologie électorale élémentaire de son électorat révèle sa force : il rassemble des partisans sur un spectre très large, tirant sa légitimité de son statut d’ancien hojatoleslam et d’ancien révolutionnaire. Au cours de sa présidence, il œuvre à l’ouverture de la société civile en s’appuyant notamment sur la génération des jeunes n’ayant pas participé à la révolution de 1979 et tâche de « libéraliser par le bas pour négocier une démocratisation par le haut » (p. 113). Il échoue pourtant à abolir le principe du velayat-e faqih.

La réaction conservatrice ne tarde pas : dès 2000, les principaux représentants des conservateurs s’activent à bloquer toutes les tentatives de réformes menées par le gouvernement de Khatami en s’appuyant sur les institutions non élues. Ce blocage systématique engendre un « désenchantement » inévitable (p. 116) dans la base électorale du président. Graduellement, les questions économiques et les préoccupations quotidiennes (chômage, inégalités) reprennent le pas dans les discours politiques.

L’élection d’Ahmadinejad à la présidence de la République en 2005 consacre l’échec de Khatami et ouvre une phase « néo-khomeiniste » (p. 118). Malgré son grand conservatisme et sa volonté de restaurer la théocratie dans ses fondements révolutionnaires de 1979, Ahmadinejad prend ses distances avec le clergé traditionnel. Son discours hybride, marqué par ses tendances marxistes, exploite un sentiment général de rejet de l’élite religieuse perçue comme corrompue (p. 120). Il tâche donc de fonder ex-nihilo une nouvelle élite religieuse qui ne tire plus sa légitimité de sa participation à la révolution mais de son engagement dans la guerre Iran-Irak.

L’opposition se met en place sous le nom de « mouvement vert », autour de Hossein Moussavi qui souhaite apaiser les relations de l’Iran avec l’Occident et assouplir les pratiques islamiques.

Les violents affrontements et la féroce répression des manifestations post-élections de 2009 par les Bassidjis entrainent un désaveu d’Ahmadinejad qui rejailli sur Khameini, qui prend alors ses distances avec le président. L’élection de Rohani en 2013, probablement facilitée par le Guide, permet de mettre au premier plan un intermédiaire convenable. Le discours technicien et pragmatique de ce dernier portant sur les problématiques économiques et le désenclavement du pays à l’échelle mondiale permet d’éluder les questions centrales ayant trait au fonctionnement même du régime et cristallisant les tensions au sein de la société iranienne.

« Derrière la façade islamiste d’un régime autoritaire né du fracas révolutionnaire de 1979, et derrière l’image de ‘l’Iran des mollahs’ se trouve en réalité une dimension séculière consubstantielle à l’État islamique » rappelle Jérôme Fabiani en conclusion (p.131).

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C’est probablement sur cette tension antagoniste mais fondamentale, placée au cœur du système politique et religieux du pays par Khomeini, que l’ouvrage de l’officier nous apprend le plus. Cette fresque historique riche et dense doit devenir le livre de chevet de quiconque souhaite approfondir sa connaissance du pays sans avoir à se plonger dans une historiographie lacunaire et ardue, souvent en langue anglaise, consacrée à l’Iran. Faisant acte d’historien - Jérôme Fabiani s’emploie à citer fréquemment des extraits de textes originaux - et ayant fait l’effort de fournir au lecteur une bibliographie finale riche et bien sélectionnée, l’auteur rend accessible à tous l’histoire d’un pays dont on parle beaucoup en ignorant bien souvent la richesse et la complexité de son passé récent. On notera également la présence d’un glossaire, élément fondamental pour les lecteurs ne maitrisant pas les ressorts de la langue arabe ou persane, et d’un ensemble de cartes permettant de situer le propos dans un espace géographique à cheval entre Moyen-Orient et Asie centrale qui joue, sans aucun doute, un rôle essentiel.

Nous ne pouvons donc qu’encourager les intéressés par la Perse à se procurer un livre qui leur permettra de faire le tour des principales problématiques rencontrées par l’Iran aujourd’hui.

(1) Sur ce sujet, voir Mohammad-Ali Amir-Moezzi, Christian Jambet, Qu’est-ce que le shî’isme ?, Fayard, Paris, 2004.

Jérôme Fabiani, Le Guide. Théologie et politique en Iran depuis 1979, Éditions du Grenadier, Paris, 2017.


Yves Blot: LA POLITIQUE D'ARISTOTE

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LA POLITIQUE D'ARISTOTE

Visitez le site du Cercle de l’Aréopage : http://cercleareopage.org
 
Conférence au Cercle de l'Aréopage:
LA POLITIQUE D'ARISTOTE
Par Yvan Blot
 
Retrouvez les évènements du Cercle : http://cercleareopage.org/conf%C3%A9r...

mercredi, 25 octobre 2017

Identity, Theism & The Religion Of Capital

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Identity, Theism & The Religion Of Capital

by

Ex: http://www.usa.forzanuova.info

In the modern world, and particularly in the “West”, we have slipped into a devastating pattern of deconstructionism. We’ve deconstructed with pseudo-intellectual lines of attack all of the traditional institutions and paradigms that have held our society together; gender, race, sexuality, religion – the list could potentially be perennial. Anything and everything that held together a people within a group identity has been deconstructed, thereby removing its inherent value and purpose.

Religion is perhaps the greatest example of this and certainly the battleground in which we first encountered the deconstructionist. With the advent of the modern era, with science and the values of enlightenment, we have “disproved” many previously held religious axioms. Most notably of course, and an example with which everyone is familiar, the belief in Darwin’s evolutionary theory as an antithesis of creationism. Once science can effectively disprove the opening chapter of the Holy Bible, the door has been wedged open for the great deconstructionist to begin extracting the value from the rest of the book.

Never mind the fact that the bible contains many lessons from which one might come to lead a better life; never mind the fact that much of the bible should be understood as metaphor as opposed to magic and miracles; once they can defeat one area in the field of battle, they will not stop until there remains no value in a concept.

Thus the Christian way of life was brought down in the west – and I lament this, despite practising a different faith myself. I lament the passing of this system due to the simultaneous loss of group identity it has caused as a side effect, or perhaps the former was a catalyst for the latter. Whatever the cause of the process, the action and reaction, the facts remain the same; the loss of group identity on a community and national level has occurred in direct proportion with the decline of religious faith.

The reason for this is quite simply. Our societies and communities, on a micro and macro level, were built around the Church. The Church was the focal point of the community, a place where one’s fellow kith and kin would gather at least once a week in unified faith. Every major event in our lives was in the domain of the Church; birth, marriage and even death. We celebrated Easter together, the Harvest together, Christmas and Lent and so on and so forth. Even social issues that have now been taken over by the state – with charity being the greatest example of this – were previously under the remit of the Church.

British society is a great example of this. For better or worse, the Church and faith in the Christian religion held society together, even offering legitimacy to the royals and morale for the armies. Whilst I am not a Christian and I believe that a different faith and ethics system is preferable, that’s just personal taste – the focus point of this discussion isn’t necessarily the particular religion, but the system of society that collective belief in a religion generally brings about; cooperation, a sense of belonging, goodwill to one’s neighbour, charity, asceticism.

Another example of this, and perhaps useful for a “compare and contrast” exercise, is the Islamic world. The Islamic world has soundly rejected atheism as a theory and has instead embraced a more traditionalist, more conservative approach to their faith, which in many cases has become almost reactionary as a response to Western-backed atheism. Whilst many of you may not agree with the values of Islam, not one of you can deny that their collective faith gives Muslims a strong sense of identity that many of us in the Western world sorely lack.

The great lie that the deconstructionists fed to us is that one can either be rational, or spiritual. These concepts are, to those who seek to remove the latter, absolutely mutually exclusive. The implication being that by entertaining a degree of spirituality one is by definition, lacking in a logical understanding of the world and their environment. This is false; very few theists claim that their religion should be practised like a child with blind faith in Santa. The belief in a “man in the sky” is not a prerequisite for theism – on the contrary, many theologists will confirm that one can be an ardent Christian without believing literally in the book of Genesis, for instance.

Yet this is how we’ve been taught to view such issues, in grossly absolutist terms that do a disservice to those who do follow a spiritual path. We are given a black and white interpretation that says you’re either with science – and by definition against religion – or against science – and by definition, stupid. The mockery directed at those who practise faith, that sometimes extends to borderline social ostracism, has been weaponised by the deconstructionists to deprive the collective of its identities.

The free-market also has a lot to answer for in this regard. The pressure by free-marketeers to loosen traditionally restricted trading hours, most notably the Sunday Trading Hours laws that have been introduced in the United Kingdom, have turned what used to be time for reflection, community, charity and family, into yet more time for materialist pursuits and mindless, atomised consumerism. In this way, a religiously traditional society is a great threat to the free-market, as it restricts the number of hours the giant capitalists have to make money.

More broadly, neo-liberal Western capitalism has been one of the driving forces behind the challenges to traditionally spiritual societies – hence why Islamic societies fight so vehemently against the doctrine. The proponents of such doctrines – ironically the “conservatives” who claim a Christian foundation – only have one belief system, one faith, and one God: capital. Money and only money is their raison d’etre. They live for no higher purpose, no greater collective mission and nothing other than the accumulation of capital – what a sad existence that must be!

But its effects on Western societies have been momentous. Many in Europe often claim Islam is the fastest growing religion in the continent and, of course, they’re not wrong, but one cannot overlook the fact that the atheistic are the fastest growing demographic more generally. And in any case, it is difficult to separate atheism from the umbrella term of “religious groups”, given their undying profession of eternal love for and their steadfast belief in capital – in a way, this in itself amounts to a religion. It certainly has characteristics of religion that they themselves overlook.

As we know, the belief in money and the accumulation of capital as the only notion to hold inherent value serves no greater purpose than to remove collective identities. Whether it be from the right, the neo-liberal capitalists, or from the left, the individualist social democrats, the prevailing political paradigm of our time is money above all, and identity below everything.

Thus it can be said that, rather than the irreligious being the fastest growing demographic in Western societies, it is in fact those bereft of collective identity who are truly prevailing. As I alluded to earlier on in this piece, I’m not a Christian, and nor do I believe that the rise of Islam is a good thing purely because it’s a religious doctrine combatting an irreligious doctrine. Rather an atheist West than a theist East – yet I can’t help feel somewhat envious of those in the Islamic world, for they have retained their belief in the spiritual and their comradeship of the collective.

Perhaps the West, as opposed to their perennial cycle of teaching foreigners liberal democracy, should take a step back and ask what lessons we could learn from them.

mardi, 24 octobre 2017

Friedrich Schleiermacher: The Father of Modern Theology & a Prophet of German Nationalism

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Friedrich Schleiermacher:
The Father of Modern Theology & a Prophet of German Nationalism

Part 1

“I feel sure that Germany, the kernel of Europe, will arise once more in a new and beautiful state, but when this will happen, and whether the country will not first have to experience even greater difficulties […] God alone knows.” — Friedrich Schleiermacher, 1806[1] [3]

“. . . were you not mine, I should not have felt so conscious of how true is my patriotism and my courage. As it is, however, I know that I may place myself on a level with whomsoever it may be, that I am worthy of having a country I can call my own, and that I am worthy of being a husband and a father. […] Now, this is just my vocation – to represent more clearly that which dwells in all true human beings, and to bring it home to their consciences.” — Friedrich Schleiermacher, in a letter to his wife to be, Henriette von Willich, 1808[2] [4]

Friedrich Schleiermacher is generally recognized as the father of modern theology,[3] [5] and considered the most influential Protestant theologian since John Calvin. At the beginning of the nineteenth century, Schleiermacher redirected the course of Protestant theology by breaking the stalemate of rationalism and orthodoxy.[4] [6] The rise of neo-orthodoxy in the twentieth century, led by Karl Barth, was in many ways a reaction to the influence of Schleiermacher. After World War Two, Schleiermacher was treated with suspicion, since he was a Romantic, a German idealist, and an advocate of nationalism, culturally conditioned Protestantism, and the German Volksgeist.[5] [7] To him, the essence of religion was an inward disposition of piety, rather than outward practices or written dogmas.[6] [8]

Early Life

Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher was born in 1768 in the Silesian town of Breslau in Prussia (now Wroclaw in Poland). He was the son of a Reformed pastor who served as a chaplain in the Prussian army.[7] [9] At fourteen, Schleiermacher was placed in a school of the Moravian Brethren, or Herrnhuters, a Pietist congregation. The Moravians emphasized an intense devotion to Jesus and a vivid communion with him, resulting in the immediate presence of God, experienced within the self. This had a profound influence on Schleiermacher. At the Moravian school he also got a humanistic education based on the study of Latin and Greek.[8] [10] He enrolled in a Moravian seminary at sixteen to become a pastor. At the seminary, the students were forbidden from reading modern writers like Goethe, or the investigations of modern theologians and philosophers into the Christian system and the human mind. Schleiermacher asked his father for permission to enroll at the University of Halle instead, telling him that he no longer believed in Christ’s vicarious atonement. His father reluctantly agreed, believing that “pride, egotism, and intolerance” had taken possession of him.[9] [11] “Go then into the world whose approval you desire,” he told his son.[10] [12]

Schleiermacher matriculated at Halle in 1787. The leading philosopher at Halle then was Johann August Eberhard, who acquainted his students with a thorough knowledge of Kant’s philosophical system, and introduced them to the history of philosophy, and philosophers like Plato and Aristotle. For many years, Schleiermacher devoted himself to the study of Kant’s philosophy,[11] [13] and for a while he thought he’d lost all faith except in Kantian ethics.[12] [14]

In 1796, Schleiermacher moved to Berlin when he was appointed as a Reformed chaplain at Berlin’s main hospital, the Charité Hospital. There, he became acquainted with a circle of Romantics, who sought unity in their lives by completely devoting themselves to something they thought worthy of devotion. Their ideas centered around inward feeling, idealism and the growth of individuality. There, Schleiermacher met the poet Friedrich Schlegel who became his friend and had a significant influence on him.[13] [15] Schleiermacher understood individuality to be the designation of each individual in the order of things by divine providence: “Your obligation is to be what the consciousness of your being bids you to be and become.”[14] [16] His relationship with the Romantics was somewhat ambivalent. He noted that all people with artistic nature had “at least some stirrings of piety.” But ultimately, Schleiermacher wrote, “imaginative natures fail in penetrative spirit, in capacity for mastering the essential.” Wilhelm Dilthey wrote about Schleiermacher’s time with the Romantics: “Like every genius he was lonely in their midst and yet needed them. He lived among them as a sober man among dreamers.”[15] [17] Schleiermacher was repeatedly embarrassed and humiliated by their social impropriety and inability to function in the real world.[16] [18]

Together, Schleiermacher and Friedrich Schlegel decided to begin the monumental task of producing the first German translation of Plato’s works. But Schleiermacher could not count on Schlegel, and soon he had had to work on the translation alone. The work took many years and the volumes were published intermittently between 1804 and 1828, although not all dialogues were translated. Still today, Schleiermacher’s translations are the most sold paperback editions of Plato in Germany and are authoritative translations for scholars. Dilthey claimed that through them, “knowledge of Greek philosophy first became possible.”[17] [19] The work on the translation was to have a profound effect on the development of Schleiermacher’s philosophy.

The Speeches on Religion

Bothered by the Romantics’ hostility toward religion, Schleiermacher wrote his most famous work, On Religion: Speeches to Its Cultured Despisers (Über die Religion: Reden an die Gebildeten unter ihren Verächtern), in 1799, which made him instantly famous. In it, Schleiermacher attempted to discern the spirit or idea of pure religion, just as Kant had done for pure reason. In this early work his philosophical and theological ideas were still unformed and would evolve in the following years.

9780521357890-us-300.jpgSchleiermacher thought that the Romantics’ criticism of religion applied only to external factors such as dogmas, opinions, and practices, which determine the social and historical form of religions. Religion was about the source of the external factors. He noted that, “as the childhood images of God and immortality vanished before my doubting eyes, piety remained.”[18] [20] He distinguished religion from “vain mythology” that conceived God as an outside being who interfered in history or natural events, although he thought Christianity should retain its mythical aspects and language as long as it was recognized as myth. Beliefs or knowledge about the nature of reality were also to be separated from religion.[19] [21] After Kant, the old-world view with its metaphysical idea of God was no longer possible. Martin Redeker explains: “On the basis of critical transcendental philosophy God cannot be the object of human knowledge, since human knowledge is bound to space and time and the categories of reason, i.e., the finite world.”[20] [22]

True religion, according to Schleiermacher was the “immediate consciousness of the universal being of all finite things in and through the infinite, of all temporal things in and through the eternal.”[21] [23] Feeling was the essence of his idea of religion, feeling of the eternal in all that has life and being. Feeling was only religious though, if it imparted a revelation of the spirit of the whole. That was God, the highest unity, being felt.[22] [24] Schleiermacher defined feeling as the pre-conceptual organ of subjective receptivity that makes thought and experience possible. Feeling is self-consciousness itself, the unifying property of the self that pre-reflectively apprehends the world as a whole.[23] [25] It is the primal act of the spirit before reality is divided into subject and object. An existential experience of revelation is the basis of faith and the certainty of salvation, not correct doctrines or theological formulations.[24] [26]

In contrast to Romantic religious individualism, Schleiermacher claimed that religion was social or nothing at all, since it was “man’s nature to be social.” The more one is stirred by religious feelings, “the more strongly his drive toward sociality comes into play.” A religious person, therefore, must interact with other people and do his part in the Christian church, which is the social form of the idea of true religion. Although, corruption is to be expected when the eternal steps down into the sphere of the temporal and must adapt to historical and political realities.[25] [27]  What characterizes Christianity is the conflict of the infinite and finite in human history, and through Christ’s reconciliation this conflict is overcome. Thus, Christianity is by nature a polemical religion, critical of culture, of religion, and above all of itself.[26] [28]

Many readers, including Johann Wolfgang von Goethe, found Schleiermacher’s account of the essence of religion wonderful, but his attempt to justify church Christianity disappointing. Georg W. F. Hegel admired On Religion, but later the admiration would turn to hate. It has been suggested that it was partly because Hegel envied Schleiermacher’s work on Plato, Heraclitus, and the dialectic, although their later rivalry at the University of Berlin seems an adequate cause.[27] [29]

In this early work, Schleiermacher shows some prejudice toward his neighboring countries, when he asks who could fathom his testimony: “To whom should I turn if not to the sons of Germany? Where else is an audience for my speech? It is not blind predilection […] that makes me speak thus, but the deep conviction that you alone are capable, as well as worthy, of having awakened in you the sense for holy and divine things.”[28] [30] According to Schleiermacher, the English, “whom many unduly honor,” are incapable of attaining true religion, for they are driven by the pursuit of “gain and enjoyment.” He continues, “their zeal for knowledge is only a sham fight, their worldly wisdom a false jewel, […] and their sacred freedom itself too often and too easily serves self-interest. They are never in earnest with anything that goes beyond palpable utility.”[29] [31] The French are worse: “On them, one who honors religion can hardly endure to look, for in every act and almost in every word, they tread its holiest ordinances under foot.” The “barbarous indifference” of the French people and the “witty frivolity” of their intellectuals towards the historical events taking place in France at the time, (the French Revolutionary Wars) shows how little disposition they have for true religion. “What does religion abhor more than that unbridled arrogance by which the leaders of the French people defy the eternal laws of our world? What does religion more keenly instill than that humble, considerate moderation for which they do not seem to have even the faintest feeling?”[30] [32]

Professor at Halle and Christmas Eve

In 1804, the Prussian government called Schleiermacher to the University of Halle as professor and university preacher.[31] [33] The following year, he wrote Christmas Eve (Die Weihnachtsfeier), a work in the style of Plato’s dialogues. It is a conversation among a group of friends gathered on Christmas eve, discussing the meaning of the Christmas celebration and Christ’s birth.[32] [34]

10954134.jpgThe dialogue begins with the historical criticism of the Enlightenment, claiming that although the Christmas celebration is a powerful and vital present reality, it is hardly based on historical fact. The birth of Christ is only a legend. Schleiermacher rejects the historical empiricism of the Enlightenment since it results only in the discovery of insignificant causes for important events and the outcome of history becomes accidental. This is not good enough, “for history derives from epic and mythology, and these clearly lead to the identity of appearance and idea.” Therefore, he says, “it is precisely the task of history to make the particular immortal. Thus, the particular first gets its position and distinct existence in history by means of a higher treatment.”[33] [35]

Speculation and empiricism must be combined for historical understanding: “However weak the historical traces may be if viewed critically, the celebration does not depend on these but the necessary idea of a Redeemer.”[34] [36] Since men lack the unity and harmony of primordial nature and whose nature is the separation of spirit and flesh, they need redemption.[35] [37] The birth of Christ, “is founded more upon an eternal decree than upon definite, individual fact, and on this account cannot be spoken of in a definite moment but is rather elevated above temporal history and must be maintained mystically.” Festivals like Christmas simply create their own historical background.[36] [38] But the myth of Christmas is far from arbitrary: “Something inward must lie at its basis, otherwise it could never be effective nor endure. This inner something, however, can be nothing else than the ground of all joy itself.”[37] [39]

Schleiermacher understands Christmas as the event when eternal being enters the finite becoming of history, influenced by the Platonic ideas, the archetypes of pure being. The spirit thus reveals himself in history and brings mankind to self-consciousness.[38] [40] The celebration of the eternal is what sets Christmas apart from other festivals.

Some, to be sure have attempted to transfer the widespread joy that belongs to the Christmas season to the New Year, the day on which the changes and contrasts of time are pre-eminent. […] The New Year is devoted to the renewal of what is only transitory. Therefore, it is especially appropriate that those who, lacking stability of character, live only from year to year should make an especially joyful day of it. All human beings are subject to the shifts of time. That goes without saying. However, some of the rest of us do not desire to have our live in what is only transitory.[39] [41]

The joy of Christmas bespeaks an original undivided human nature where the antitheses between time and eternity, thought and being have been overcome, an eternal life in our temporal existence.[40] [42] The celebration of Christmas also brings to the fore the divine relationship of mother and child. Mary symbolizes every mother, and mother’s love for her child is the eternal element in every woman’s life, the essence of her being.[41] [43]

Schleiermacher’s life changed when Napoleon defeated the Prussian army in 1806. After battles in the streets, Halle was captured and occupied. Schleiermacher’s house was plundered and occupied by French soldiers.[42] [44] “Unlike Goethe and Hegel, who admired the French conqueror, Schleiermacher seethed with rage at the crushing of old Prussia.”[43] [45] When he was asked by a French official to witness Napoleon’s entry into the city, Schleiermacher asked to be excused. The students were expelled and the University dissolved. Yet Schleiermacher remained, convinced that greatness awaited Prussia and Germany. The destruction of Prussia was only a transition, the old and feeble had to fall for something stronger to emerge. He wrote: “The scourge must pass over everything that is German; only under this condition can something thoroughly beautiful later arise out of this. Bless those who will live to see it; but those who die, may they die in faith.”[44] [46] He was convinced that God had ordained that Germany, this glorious cultural entity, would also be realized politically.[45] [47]

Prussia’s defeat and Napoleon’s occupation brought Schleiermacher to consciousness of the spirit of nationalism. He joined the movement for reform in Prussia, based on the emerging Protestant ethics, and the values of Volk, state, and fatherland. Schleiermacher’s ethics had until then been based on individuality. The individual self now found its freedom by serving the nation and the state. Moreover, Providence was at work in history as peoples and states evolved into social individuals. The old idea of history as a process of continuous perfection, harmony, and peace, gave way to a history as a life of struggle, decisions, and sacrifice, but also catastrophe and destruction. This was the will of God for the realization of justice and truth.[46] [48] In the collapse of the Prussian state, Schleiermacher sensed the will of God leading his people through defeat to victory. Germans had to recognize God’s work in the ethos and spirit of the German nation and the historical state, and obey his will. God would protect those who wanted to preserve themselves, and their unique meaning and spirit. For the fatherland and its freedom, one must risk his life. A Christian cannot rely on others or only himself, but should trust in the power of God when standing up for his Fatherland.[47] [49]

Up until the defeat, Schleiermacher had seen Prussia as his Fatherland, but he now started to question its existence. He wondered whether God was using the defeat to awaken the Prussian people to their destiny in Germany. This humiliation could only have been prevented by a unified Germany.[48] [50] He felt that the struggle of nationalism had been made almost impossible by the Enlightenment, its ideas masked decay with a false sense of progress. “Every last moment is supposed to have been full of progress. Oh, how much I despise this generation, which adorns itself more shamelessly than any other ever did.”[49] [51]

Professor at the University of Berlin

The University of Berlin was founded in 1809 by Wilhelm von Humboldt. Schleiermacher played an important role in the founding of the university, working as one of Humboldt’s closest collaborators. Schleiermacher, like Fichte, opposed the idea of the university as a technical school of higher learning and special studies, based on those that had been established in France after the Revolution. Science was supposed to be universal and coherent, a unified and universal system of man’s total knowledge.[50] [52]

220px-Friedrich_Daniel_Ernst_Schleiermacher_2.jpgSchleiermacher and Fichte based their idea of university on the transcendental idealist philosophy and its new conception of science. A mere technical academy could not represent the totality of knowledge. According to Schleiermacher, “the totality of knowledge should be shown by perceiving the principles as well as the outline of all learning in such a way that one develops the ability to pursue each sphere of knowledge on his own.” All genuine and creative scholarly work must be rooted in the scientific spirit as expressed in philosophy.[51] [53] The philosophical faculty was to predominate over the other faculties in the university because, “there is no productive scientific capacity in the absence of the speculative spirit.”[52] [54] The students were to be captivated by the idea of knowledge, and all specialized learning was to be understood in accordance with the entire framework of knowledge. From this, the students would derive the impulse for their own research.[53] [55]

In 1810, Schleiermacher joined the Prussian Academy of Sciences and became permanent secretary of the philosophical division in 1814. There he worked to establish a new field, cultural-historical studies, in which he emphasized a new study of antiquity that combined philosophy with the history of philosophy, law, and art. A critical edition of Aristotle’s works was also prepared at his recommendation. Because of the importance of the new studies, Schleiermacher urged the appointment of Hegel to Berlin, but Hegel became isolated, and they had no personal relationship.[54] [56] Hegel soon took issue with Schleiermacher’s theology of feeling and blasted Schleiermacher in every lecture cycle.[55] [57] Schleiermacher, in turn made sure that Hegel was kept out of the Academy of Sciences, ostensibly on the grounds that Hegel’s speculative philosophy was no science.[56] [58]

Schleiermacher served as a pastor alongside his academic appointments his whole career. During the French occupation he used his pulpit in the Berlin Charité to raise the spirits of his congregation and instill in them the spirit of nationalism. The philosopher Henrik Steffens, a friend of Schleiermacher’s, described his sermons thus: “How he elevated and settled the mind of [Berlin’s] citizens […]; through him Berlin was as if transformed […]. His commanding, refreshing, always joyful spirit was like a courageous army in that most troubled time.”[57] [59] In 1808 he joined a secret group of agitators, who sought to prepare a popular uprising and a war against Napoleon. There he befriended prominent patriots like general Gerhard von Scharnhorst and field marshal August von Gneisenau, whose names were later given to famous German battleships. Political maneuvers of Russia and Austria ruined the work of the secret group and the possibility of war against Napoleon would have to wait a few years.[58] [60]

Then in 1813, Prussia prepared to fight Napoleon again. That year, Schleiermacher preached a sermon before young soldiers in Berlin who were going to fight the coming war. He told them that they should think only of the nation when fighting. That should be their inspiration for bravery. They were fighting for the Fatherland and not for personal liberties. If a soldier died fighting to preserve his personal liberties, his death was a total waste since one had to be alive to enjoy the liberty. To die fighting for the Fatherland, on the other hand, was only an “utterly insignificant casualty.” Schleiermacher, valued death from a mystical point of view, as it united the soul with God. He knew what tragedy the death of a soldier was, but he wanted them to know that the only meaningful death for a soldier would be for the sake of the Fatherland. He himself served in the Landsturm reserve unit for the defense of Berlin. The Landsturm was supposed to be a second line of defense behind the newly established Landwehr.[59] [61]

The struggle against France and the ineffective political organization in Prussia caused Schleiermacher to begin to question the rule by divine right, on which the monarchy was based. Germany was ruled by many monarchs who all claimed to rule by the will of God, but to Schleiermacher, God would only approve a unified Germany. A rule by a monarch was only justified by the will of the nation as expressed in its traditions. He also blamed the conceited aristocracy for Germany’s troubles, for they were more concerned with their own status than with the welfare of the Fatherland. [60] [62]

It was during a crisis period over the defense of Berlin that Schleiermacher also noted that one particular group was very unwilling to participate in the Landsturm reserve units. He had no sympathy for those who left Berlin only to avoid their obligations, and conspicuous among them were the Jews. In 1799, Schleiermacher had advocated full civil rights for the Jews. Now he saw no place for them in Prussia, nor could he foresee one in a unified Germany. Before 1813 he had also never criticized Jewish theology, traditions, or culture. That was to change too.[61] [63]

In the summer of 1813, Schleiermacher was appointed as a journalist and editor of a newspaper called The Prussian Correspondent, where he began to criticize the Prussian government for its handling of the war. He regarded a peace treaty with France as a betrayal since it would doom the chance to unify Germany. King Friedrich Wilhelm was furious with Schleiermacher and had him dismissed from the newspaper and expelled from Berlin. The order was later eased, and Schleiermacher got to stay and keep his position in the University and as pastor.[62] [64]

After the defeat of Napoleon in 1814, a period of reaction began in Prussia, and Schleiermacher found himself almost an enemy of the state. Despite official opposition and knowing that he would never live to see the unification of Germany, Schleiermacher still preached and taught the ideals of German nationalism in the church and in his lectures. He decided to be patient and prepare the groundwork for a unified German state, or as much as the Prussian government would tolerate.[63] [65] For fifteen years he had to live with the fear of persecution, and many friends and colleagues were forced to choose between him and the government.[64] [66] Yet he remained publicly committed to German nationalism, certain that those who frustrated the nationalist effort would ultimately have to answer to God for their crime.[65] [67] We now turn to Schleiermacher’s ideas as they appear in his mature writings.

Notes

[1] [68] Jerry F. Dawson, Friedrich Schleiermacher: The Evolution of a Nationalist, (Austin: University of Texas Press, 1966), p. 66.

[2] [69] Friedrich Schleiermacher, The Life of Schleiermacher, as Unfolded in His Autobiography and Letters, vol. II, trans. Frederica Rowan, (London: Smith, Elder and Co., 1860), p. 125.

[3] [70] Jacqueline Marina, “Introduction”, The Cambridge Companion to Friedrich Schleiermacher, ed. Jacqueline Marina, (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), p. 1.

[4] [71] Richard R. Niebuhr, Schleiermacher on Christ and Religion, (London: SCM Press LTD, 1964), p. 6.

[5] [72] Niebuhr, p. 12.

[6] [73] Robert Merrihew Adams, “Faith and Religious Knowledge”, The Cambridge Companion to Friedrich Schleiermacher, ed. Jacqueline Marina, (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), p. 37.

[7] [74] Robert P. Scharlemann, “Friedrich Schleiermacher”, Encyclopædia Britannica, (2006, September 22), retrieved from https://www.britannica.com/biography/Friedrich-Schleiermacher.

[8] [75] Martin Redeker, 9-10.

[9] [76] Gary Dorrien, Kantian Reason and Hegelian Spirit: The Idealistic Logic of Modern Theology, (Chichester: John Wiley & Sons, 2015), p. 86.

[10] [77] Martin Redeker, Schleiermacher: Life and Thought, trans. John Wallhausser, (Philadelphia: Fortress Press, 1973, p. 14.

[11] [78] Redeker, p. 15.

[12] [79] Dorrien, p. 87.

[13] [80] Dorrien, pp. 88-89.

[14] [81] Redeker, p. 22.

[15] [82] Redeker, pp. 62-63.

[16] [83] Dawson, p. 47.

[17] [84] Julia A. Lamm, “Schleiermacher as Plato Scholar, The Journal of Religion, Vol. 80, No. 2, (Chicago: The University of Chicago Press, 2000), pp. 206-207.

[18] [85] Dorrien, pp. 89-90.

[19] [86] Dorrien, p. 93.

[20] [87] Redeker, p. 38.

[21] [88] Dorrien, p. 92.

[22] [89] Dorrien, p. 93.

[23] [90] Dorrien p. 93.

[24] [91] Redker, p. 39-40.

[25] [92] Dorrien, pp. 93-94.

[26] [93] Redeker p. 48.

[27] [94] Michael Inwood, “German Philosophy”, The Oxford Companion to Phiosophy, ed. Ted Honderich, (Oxford: Oxford University Press, 2005), p. 336.

[28] [95] Friedrich Schleiermacher, On Religion: Speeches to its Cultured Despisers, trans. John Oman, (London: Kegan Paul, Trench, Trübner & Co., 1893), p. 9.

[29] [96] Schleiermacher, On Religion, pp. 9-10.

[30] [97] Dorrien, p. 94.

[31] [98] Redeker, p. 76.

[32] [99] Redeker, p. 82.

[33] [100] Redeker, p. 83.

[34] [101] Redeker, p. 83.

[35] [102] Redeker, p. 83.

[36] [103] Niebuhr, pp. 60-61.

[37] [104] Niebuhr, pp. 62-63.

[38] [105] Redeker, p. 85.

[39] [106] Friedrich Schleiermacher, Christmas Eve Celebration: A Dialogue, trans. Terrence N. Tice, (Eugene: Cascade Books, 2010), pp. 75-76.

[40] [107] Niebuhr, p. 63.

[41] [108] Redeker, p. 82.

[42] [109] Redeker, p. 86.

[43] [110] Dorrien, p. 96.

[44] [111] Redeker, p. 86.

[45] [112] Dorrien, pp. 96-97.

[46] [113] Redeker, p. 88.

[47] [114] Redeker, p. 89.

[48] [115] Dawson, pp. 63-64.

[49] [116] Dawson, p. 41.

[50] [117] Redeker, pp. 95-96.

[51] [118] Redeker, p. 96.

[52] [119] Redeker, p. 96.

[53] [120] Redeker, p. 97.

[54] [121] Redeker, p. 186.

[55] [122] Dorrien, p. 212.

[56] [123] Dorrien, p. 208.

[57] [124] Redeker, p. 91.

[58] [125] Redeker, p. 91.

[59] [126] Dawson, p. 104.

[60] [127] Dawson, pp. 108-110

[61] [128] Dawspon p. 115.

[62] [129] Dawspon pp. 118-120.

[63] [130] Dawspon pp. 123-124.

[64] [131] Dawspon p. 132.

[65] [132] Dawspon p. 98.

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Friedrich Schleiermacher:
The Father of Modern Theology & a Prophet of German Nationalism

Part 2

Schleiermacher’s Philosophy of Mind

According to Schleiermacher, the task of philosophy is the “immersion of the Spirit into the innermost depths of itself and of things in order to fathom the relations of their [spirit and nature] being-together.”[1] [3] Schleiermacher’s philosophy, like German idealism in general, was very influenced by, and a reaction to, the critical transcendental philosophy of Immanuel Kant. His philosophy was also influenced by Plato, of whom Schleiermacher was the chief scholar in Germany in his time.[2] [4] In his major work, The Christian Faith (Der christliche Glaube), published in 1821–22, Schleiermacher put forth his philosophy of consciousness.

The experience of consciousness discloses that it has both an unchanging identity and is also changing and various in its different moments. The two constitutive elements of self-consciousness are, according to Schleiermacher, the self-caused element and the non-self-caused element, the ego and other. The self is constituted only in relation to an other, it cannot be thought of without an object.[3] [5] He says:

Now these two elements, as they exist together in the temporal self-consciousness, correspond in the subject [to] its receptivity and its activity. […] The common element in all those determinations of self-consciousness which predominantly express a receptivity affected from some outside quarter is the feeling of dependence. On the other hand, the common element in all those determinations which predominantly express spontaneous movement and activity is the feeling of freedom.[4] [6]

Self-consciousness, “which accompanies our whole existence, […] is itself precisely a consciousness of absolute dependence; for it is the consciousness that the whole of our spontaneous activity comes from a source outside of us in just the same sense in which anything towards which we should have a feeling of absolute freedom must have proceeded entirely from ourselves.”[5] [7] But a feeling of absolute freedom is impossible since it would require consciousness without an object.[6] [8] Schleiermacher adds that, “the whence of our receptive and active existence, as implied in this self-consciousness, is to be designated by the word ‘God’, and that is for us the really original signification of that word. […] To feel oneself absolutely dependent and to be conscious of being in relation with God are one and the same thing.”[7] [9]

It is therefore not an object which is the determinative element in the feeling of absolute dependence, but a transcendental eternal and absolute now, which can only be God. God is the absolute infinite unity, the decisive power which unifies the inherent contradictions in the world, e.g., thought and being, reason and sensibility, ego and other. God thus vitally permeates the world and creates and preserves life. Schleiermacher describes the feeling of absolute dependence as an “immediate existential relation.”[8] [10] According to him, self-consciousness has two levels, the sensible, dealing with objects, perceptions and ideas, and the immediate self-consciousness which grounds and unifies thinking and willing. Feeling is related to immediate self-consciousness, the pre-conceptual and undivided essence of the self, before there is an ego and other.[9] [11]

Theology and Philosophy of Religion

Schleiermacher defined theology as self-reflection of the church, or believers, on their own beliefs and practice. Church teaching, worship and polity is to be analyzed phenomenologically and pneumatically. Church life is to be unified with the scientific spirit. Faith and a critical spirit of inquiry are not contradictory, although church-mindedness is a precondition of theology.[10] [12]

517v45Um+vL.jpgSchleiermacher does away with the reliance on scriptural proof or the creeds as the basic structure of his theology. Faith is not awakened by obedience to doctrinal norms, but through a community of believers and their relation to the Redeemer. Scripture and creeds take on a special meaning only after one has been brought to faith.[11] [13] Availing himself of the new concept of science from German transcendental philosophy, Schleiermacher’s theology is determined by the differentiation between idea and appearance, and by the idea of an organic whole. Attempting to overcome the opposition between a historical-empirical approach on the one hand, and metaphysical speculation about God on the other, the idea, or the nature and truth of Christianity, becomes manifest in the present and historical life of Christianity.[12] [14]

For Schleiermacher, the omnipotence of God does not mean that God can do whatever he wills, but rather that he is the cause of everything. A scientific worldview based on critical transcendental philosophy should not necessarily end in pantheism or atheism, but be open to the reality of God as the Lord of nature and history. Schleiermacher wanted to make clear that religion is a necessary element of human life in history, that it alone provides the foundation for the unity of the human spirit with the ground of being, thus protecting human life from degeneration.[13] [15] God as the world’s unity and totality is the power that brings together the antithesis of matter and spirit, and is the source of all finite life.[14] [16]

Man is, however, unaware of God as the vital power and is unable to have a relationship with him. This, Schleiermacher calls unredeemed God-consciousness, or sin. Only through redemption in Christ, can the God-consciousness be restored, and God’s omnipotence and final purpose be comprehended. It is the experience of a living communion with Christ and the unity with God as the ground of being that is the new assurance of faith.[15] [17] In Christ was first formed the perfect and archetypal God-consciousness, and through the Christian community, preaching, and the Gospel stories, this God-consciousness is awakened in the believer and a relationship established.[16] [18]

Schleiermacher does not consider Christianity to be a continuation of Judaism. The essential element in the both religions is eternally constituted, meaning that if they did not exist or have a historical beginning, they would have to be created by necessity. But rather than being a religion, Judaism represents for Schleiermacher the absence of religion:

Judaism has long been a dead religion, and those who still wear its livery only sit lamenting at the imperishable mummy, bewailing its departure and the mournful state of being left behind. But I do not talk about it as were it in some way a predecessor of Christianity: I hate such historical connections in religion; its necessity is one that is far higher and eternal, and every beginning in it is original […] the whole thing [is] such a strange example of the corruption and total disappearance of religion.[17] [19]

He also held that among the early Christians, heathens had less to overcome than the Jews, which is why more heathens became Christians. Jews found it very difficult forsake their law and Abrahamic promises.[18] [20] Schleiermacher identified the New Testament exclusively as the Christian canon.[19] [21] His hermeneutical rule for Old Testament exegesis was: “Whatever is most definitely Jewish has least value.”[20] [22] He even found it hard to believe that Jesus had much in common with the people among whom he was born:

And where indeed was that narrowing and isolating race-prejudice keener than just where our Lord was born? The nation that regarded all other nations as unclean, and avoided intercourse with them; […] such a people could not of themselves have produced, nurtured and instructed Him who is the Fountain of universal love.[21] [23]

Schleiermacher’s Hermeneutics

Friedrich Schleiermacher has had a great influence on the field of hermeneutics. Richard E. Palmer, in his book Hermeneutics, states: “Schleiermacher […] is properly regarded as the father of modern hermeneutics as a general study.”[22] [24] According to Schleiermacher, hermeneutics is to be both creative and scientific, it is the imaginative reconstruction of the writer’s selfhood. It therefore ventures beyond the principles of philological science and becomes an art.[23] [25] Johann Gottfried Herder was a primary influence on the hermeneutical thinking of Schleiermacher.[24] [26]

Thinking has, according to Schleiermacher, a moral and historical character that involves an awareness of the relatedness of the individual consciousness to a community of other minds. Thinking also necessarily involves an awareness of conflict between the judgements of one’s own self and those of others. The self is then situated in a dialogical relation where it struggles to overcome conflict. Thought is a constant reproduction of the social matrix in which the self finds itself and from which the impulse to critical reflection stems. Thinking also involves the mediation of one’s thoughts and to deposit them in the public language and to respond to the thoughts of others. And since all men learn to speak within some given, historical language, their historical mold also impresses their thinking.[25] [27]

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The interpreter, Schleiermacher claims, must master the grammar of the language of the author he is studying, as well as the history and physical conditions of the language. The author is to be considered as an expression of the language or an event in its life. The language is moreover an inheritance that qualifies the author’s spirit and demarcates the direction and progress of his thought. A thorough knowledge of the author’s language is therefore required to know the limits of his mind and to avoid anachronism in textual exegesis. Schleiermacher stated that the goal of hermeneutics is “to understand the text just as well and then better than the author himself understood it.” That is, the interpreter must be conscious of the history of the language and culture of the author, things that the author may have been unconscious of.[26] [28] In addition, the text of an author also arises from his own being and inner history, which is separate from the history of the language. Therefore, acquaintance with the author’s own personal history is required, helping the interpreter to fathom the author’s sense of identity and purpose.[27] [29]

What Schleiermacer called the psychological method deals with an author’s decision, or his freedom. Its goal is “the thorough understanding of the style.” He explains this further:

We are accustomed to understand by ‘style’ only the way in which the language is handled. But thoughts and language always inform each other, and the distinctive way in which the object is grasped informs the arrangement [of the elements of the composition] and thereby also the handling of the language.[28] [30]

The task of the psychological method is twofold. One part, which he calls the “technical” method, is to analyze the form in which the author organizes and presents his thoughts. The other part, the “pure psychological” part, is the attempt to fully grasp the significance of the author’s decision to make this particular writing and to communicate these ideas. They mean little if the interpreter can’t understand why and how a rational will chose them as his instruments.[29] [31]

Schleiermacher defined interpretation as an art, and therefore the interpreter must possess certain talents that only a few have in the requisite measure. He must not only have an extensive knowledge of the language, but also be able to grasp the language as a vital reality and to penetrate “into the core of the language in its relation to thought.” He must have the ability to gain a direct understanding of men and to grasp the “genuine meaning of a man and his distinctive characteristics in relation to the [essential] idea [Begriff] of the man.”[30] [32]

Schleiermacher extended the concept of the so called “hermeneutic circle,” the idea that the understanding of the whole text is gathered from the individual parts, and then each part is interpreted in light of the whole. It is not enough for Schleiermacher, to interpret the part in light of the whole text, but the whole text must also be interpreted in light of the author’s whole mind and being and his historical linguistic and cultural setting. The hermeneutic circle is in fact much more than a tool for interpretation. It is an essential part of the mind. “Every child comes to understand the meanings of words only through hermeneutics,” Schleiermacher wrote.[31] [33] Hermeneutics is how any understanding is possible at all through a dialogical process, it is the art of understanding. In conversation, we construct the meaning of a sentence by hearing a series of words that otherwise would have little meaning individually.[32] [34] Sometimes, we can know what our interlocutor wants to say and even construct the development of his thought before we have heard the whole speech.[33] [35] According to Hans-Georg Gadamer:

Schleiermacher’s grounding of understanding on dialogue and on interhuman understanding establishes a foundation for hermeneutics at a deeper level than before, and in a way that allows one to erect a system that is scientific and scholarly on a hermeneutical basis. Hermeneutics becomes the foundation not just for theology but for all historically based humanistic disciplines.[34] [36]

Philosophical Ethics, or Reason in History

Schleiermacher defined ethics thus: “Ethics, as the depiction of the way in which reason and nature coexist, is the science [of the principles of] history.”[35] [37] He does not conceive of ethics as a normative science that only deals with the “ought to be,” rather, it is to deal with the “is,” like the natural sciences. He has therefore little sympathy with Kant’s categorical imperative. Morality is not to obey any specific commands, it is a principle that permeates all of life.[36] [38] Ethics is the science of the organizing activity of the ideal principle in nature.[37] [39]

Schleiermacher divides science into two main branches, ethics and physics:

Ethics is, accordingly, the representation of being under the power of reason, that is from that side in which, in the co-inherence of the polarity, reason is the active term, and the real that which is acted upon; and physics is the representation of finite being under the power of nature, that is, as the real is the active term and the ideal that which is acted upon.[38] [40]

9780061300363-us-300.jpgSchleiermacher constructs his theory of ethics on the fundamental antithesis of ideal and real. All finite being never represents the pure unity of the ideal and real. Its actual existence cannot be inferred from its form and its form cannot be inferred from its existence. Both ideal and real fall outside of human experience, which is limited to that which is involved in becoming. The intellect can never grasp it and reduce it to a single term. Therefore, we cannot ascribe primacy to either form without matter or matter without form, since both transcend our experience. This is so because of our own existence in body and soul. Experience cannot be reduced to either pure reason or pure matter.[39] [41] Therefore, all real knowledge is only possible within the world and is delimited by human history.[40] [42]

Schleiermacher says: “The work which is the activity of the spiritual [ideal] within nature is always shape; the work of the material [real] in reason is always consciousness.”[41] [43] He continues:

Body and soul in man is the highest tension of the antithesis, a twofold interpenetration of the objective [real] and the spiritual [ideal]. We see it diminish in the animal and the vegetable world, but we never see it quite disappear. Where there is form, there is also consciousness corresponding to it, and vice versa. This antithesis, which was first found in our own being […] extends through the whole of reality.[42] [44]

In this world of human experience, the world of becoming, it is the real which predominates in everything over the ideal, except in human beings. Man alone express the proper nature of the ideal principle, he is the turning point. Man manifests the ideal principle through the knowledge process, as thought organizes experience into science. Thought, the work of reason in man, is what prevents total chaos in human conduct, a conflict of purposes. Reason thus manifests itself in advanced social life, the organization of the state, commerce and the exploitation of natural resources for its ends.[43] [45] Schleiermacher divides ethics into branches such as industry, agriculture, commerce, science, art, religion, and friendship, according to the impact of the ideal principle on nature.[44] [46]

Schleiermacher was influenced by the idea, or form, of the good in Plato’s Republic, a book he considered “the most glorious composition of antiquity.” Man, as a reflection of the divine world, with the ability to regulate himself, inwardly and outwardly, according to the pattern of eternal ideas, was the most important, yet undeveloped implication of the idea of the good in the history of ethics, Schleiermacher thought.[45] [47] But for him, it meant not conformity to a universal maxim of reason, but the concrete realization of the rational principle through man. Man is thus an organism of reason, and through him reason finds concrete expression in institutions, such as family, nation, university and state. He defines the good simply as the progressive organization of nature by reason. Everything which is produced in this process is good, and everyone who works toward its end partakes in the good itself.[46] [48]

According to Schleiermacher, reason is given to us only through our embodiment and natural constitution, which cannot be dismissed as mere accidents, but are essential to the life of the soul. The soul is then, always rooted in a particular man, his family, nation and race, and shares in his destiny. Man is therefore never an absolute agent but is defined by his historical, social and biological setting.[47] [49] Our existence is also ethically, always an expression and extension of the organizing wills of others. Primarily, of our parents through procreation, but of other members of the community and nation from which we come and exist. The individual begins his life already as an organized being, he is determined both by the soul-body existence, and by the character and destiny his community.[48] [50] Schleiermacher rejects the basis of the social contract theory, that the freedom of the natural man is inimical to social order. Society is rather an expression of freedom, not a limitation of it.[49] [51]

Man and State

For Schleiermacher, mankind is not an abstract universal idea about the human race or the essence of man. Mankind has a concrete being whose essence is expressed in three forms of community: in friendship, marriage, and Fatherland. Against the spirit of the Enlightenment, he did not think that the sole purpose of man was the progressive domination of nature, increased well-being and the advance of civilization. Martin Redeker explains:

The national state, for instance, is not a necessary evil, not an external community of the material world for the increase of property and protection against misfortune and calamity. The state is the finest work of human art by which man raises his being to the highest level. The state is for Schleiermacher the concretion of mankind as moral community and higher life.[50] [52]

According to Schleiermacher, a state is necessary if a society is to progress beyond a certain point. His idea of society and the state is very influenced by his reading of The Republic. When a state is established, the customs of the social organism are sanctioned and expressed in its laws. The state thus furthers the ends of the organism and expresses its individuality, it represents the completion of the good life.[51] [53] He wrote: “When such an institution is founded, it is one of the greatest steps forward possible for our race. […] It follows that patriotism is good, and those who think it is not for them are like guests or aliens.”[52] [54] The idea of a multi-ethnic state did not impress Schleiermacher:

Variation in political dignity is always a sign that several hordes have been fused together. […] Particularity in common is the basis of the state, partly to the extent that it is also a family bond and partly because only to that extent will every individual posit the totality of the external sphere of the state as his own moral, particular sphere (that is, as absolutely holy and inviolable), for on this alone does the defence of the state rest.[53] [55]

The state must be active in the life of the nation, otherwise the nation will degenerate: “To transform the state into a mere legal institution, […] would be to reverse the direction of the ethical process.”[54] [56] Schleiermacher also claims that: “Essentially people and soil belong together. […] State is the identity of people and soil. […] The determining power of the soil is an essential element in the character of the people…”[55] [57] War for living space is justified:

Every state needs a sufficiency of soil because it ought not to be dependent [on others] for its essential needs. These essential needs increase, however, if the community of peoples gains in size. The state strives to push back its frontiers, in order to acquire what is lacking; these are wars of need. Thus we can distinguish three different sorts of natural warfare: wars of unification which form the state, frontier wars, or wars which maintain a state of equilibrium, and wars of need which defend the state; the usual distinction, on the other hand, between offensive wars and defensive ones, is an entirely empty one.[56] [58]

Schleiermacher.jpgFolk traditions (Volkstümlichkeit) and race mark the boundaries for the possibility of a moral community according to Schleiermacher: “. . . people from different folk traditions, or who speak different languages, and to an even greater extent people of different races, find themselves separated in a way that is specifically different to any other. It is within these natural boundaries that moral relationships are determined . . .”[57] [59] It is history and geography that make a nation, they can never be brought about deliberately, “on the contrary, the fusing of different elements into a single people can only come about where it is physically predetermined, only ever, no doubt, within the confines of the race; for a people has never yet been formed from half-breeds.”[58] [60] The separation of the races is part of the divine order, “. . . for God has imparted to each its own nature, and has therefore marked out bounds and limits for the habitations of the different races of men on the face of the earth.”[59] [61] The idea of a state is inherent in the nature of a race and it is actualized by a powerful leader when the time is right:

Let us now suppose that some person for the first time combines a naturally cohesive group into a civil community (legend tells of such cases in plenty); what happens is that the idea of the state first comes to consciousness in him, and takes possession of his personality as its immediate dwelling place. Then he assumes the rest into the living fellowship of the idea. He does so by making them clearly conscious of the unsatisfactoriness of their present condition by effective speech. The power remains with the founder of forming in them the idea which is the innermost principle of his own life, and of assuming them into the fellowship of that life. The result is, not only that there arises among them a new corporate life, in complete contrast to the old, but also that each of them becomes in themselves new persons – that is to say, citizens. And everything resulting from this is the corporate life – developing variously with the process of time, yet remaining essentially the same – of this idea which emerged at that particular point of time, but was always predestined in the nature of that particular racial stock.[60] [62]

Schleiermacher’s ideal ruler is the philosopher king of The Republic, who is the source of all freedom and justice, who has no private interest above the state, and who personifies the spirit of the nation.[61] [63]

The End of Schleiermacher’s Life

A wave of revolutions went through Europe in 1830 and 1831. Schleiermacher was deeply hurt by the prospect of seeing the German people having to go through revolutions before a unified Germany could be realized. In September 1832, seventeen months before his death, he wrote in a letter to his wife Henriette: “It often makes me sad to think, that after all our bright hopes and good beginnings, I shall, when I depart this life, leave our German world in such a precarious state – for this will most probably be my lot.”[62] [64]

Although Schleiermacher never lived to see the unification of Germany himself, he used his sermons and classes to infuse his listeners with the ideals of German nationalism. Some of them would be influential in German politics in the following decades. It seems providential almost, that in Schleiermacher’s confirmation class of 1830 was one sixteen year old, Otto von Bismarck, who would later realize what Schleiermacher had long believed was God’s destiny for Germany.[63] [65] Many Prussians who knew little of Schleiermacher’s theology, recognized him as a national hero and patriot.[64] [66]

Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher died in February 1834 from pneumonia. On the day of his funeral around 30,000 Berliners joined the funeral procession, including the king, which was unparalleled at the time for an academic.[65] [67] His friend, Steffens reported of the funeral:

Never has a funeral similar to this taken place. It was not something arranged but a completely unconscious, natural outpouring of mourning love, an inner boundless feeling which gripped the entire city and gathered about his grave; these were hours of inward unity such as have never been seen in a metropolis of modern times.[66] [68]

Notes

[1] [69] Redeker, p. 185.

[2] [70] Redeker, p. 154.

[3] [71] Dorrien, p. 100.

[4] [72] Friedrich Schleiermacher, Friedrich Schleiermacher: Pioneer of Modern Theology, ed. Keith W. Clements (Minneapolis: Fortress Press, 1991), p. 100.

[5] [73] Schleiermacher, Friedrich Schleiermacher: Pioneer of Modern Theology, p. 103.

[6] [74] Schleiermacher, Friedrich Schleiermacher: Pioneer of Modern Theology, p. 102.

[7] [75] Schleiermacher, Friedrich Schleiermacher: Pioneer of Modern Theology, pp. 103-104.

[8] [76] Redeker, p. 114.

[9] [77] Dorrien, pp. 100-101.

[10] [78] Redeker, p. 105.

[11] [79] Redeker, p. 107.

[12] [80] Redeker p. 107.

[13] [81] Redeker, p. 111.

[14] [82] Redeker, p. 122.

[15] [83] Redeker, p. 123.

[16] [84] Redeker, p. 132.

[17] [85] Anders Gerdmar, The Roots of Theological Anti-Semitism: German Biblical Interpretation and the Jews, from Herder and Semler to Kittel and Bultmann (Leiden: Brill, 2009), p. 65.

[18] [86] Dorrien, p. 102.

[19] [87] Christine Helmer, “Exegetical Theology and the New Testament,” The Cambridge Companion to Schleiermacehr, ed. Jacqueline Marina (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), p. 236.

[20] [88] Dorrien, p. 102.

[21] [89] Friedrich Schleiermacher, Selected Sermons of Schleiermacher, trans. Mary F. Wilson (Eugene, Or.: Wipf and Stock Publishers, 2004), p. 292.

[22] [90] Richard E. Palmer, Hermeneutics: Interpretation Theory in Schleiermacher, Dilthey, Heidegger and Gadamer (Evanston: Northwestern University Press, 1969), p. 97.

[23] [91] Niebuhr, p. 79.

[24] [92] Michael Forster, “Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher,” Stanford Encyclopedia of Philosophy (September 20, 2017), retrieved from https://plato.stanford.edu/entries/schleiermacher/ [93].

[25] [94] Niebuhr, p. 81.

[26] [95] Niebuhr, p. 83.

[27] [96] Niebuhr, p. 84.

[28] [97] Niebuhr, p. 84.

[29] [98] Niebuhr, p. 84.

[30] [99] Niebuhr, p. 85.

[31] [100] Friedrich Schleiermacher, Hermeneutics: The Handwritten Manuscripts, ed. Heinz Kimmerle, trans. James Duke and Jack Forstman (Missoula, Mt.: Scholars Press, 1977), p. 52.

[32] [101] Palmer, p. 86.

[33] [102] Niebuhr, p. 86.

[34] [103] Hans-Georg Gadamer, “Classical and Philosophical Hermeneutics,” Theory, Culture and Society, vol. 23, no. 1 (January 2006), p. 35.

[35] [104] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p. 8.

[36] [105] Redeker, p. 159.

[37] [106] Richard B. Brandt, The Philosophy of Schleiermacher: The Development of His Theory of Scientific and Religious Knowledge (New York: Harper & Brothers Publishers, 1941), pp. 170-71.

[38] [107] Niebuhr, p. 105.

[39] [108] Niebuhr, p. 98.

[40] [109] Niebuhr, p. 102.

[41] [110] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, trans. Louise Adey Huish (Cambridge: Cambridge University Press, 2002), p. 148.

[42] [111] Brandt, p. 254.

[43] [112] Brandt, pp. 255-56.

[44] [113] Brandt, p. 171.

[45] [114] Niebuhr, p. 95.

[46] [115] Brandt, p. 173.

[47] [116] Niebuhr, p. 104.

[48] [117] Niebuhr, pp. 114-15.

[49] [118] Niebuhr, p. 117.

[50] [119] Redeker, 57.

[51] [120] Theodore Vial, “Schleiermacher and the State,” The Cambridge Companion to Friedrich Schleiermacher, ed. Jacqueline Marina (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), pp. 272-73.

[52] [121] Theodore Vial, p. 277.

[53] [122] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p. 72.

[54] [123] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p. 74.

[55] [124] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, pp. 77-78.

[56] [125] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p 79.

[57] [126] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p. 201.

[58] [127] Friedrich Schleiermacher, Lectures on Philosophical Ethics, p. 202.

[59] [128] Friedrich Schleiermacher, Selected Sermons of Schleiermacher, p. 73.

[60] [129] Friedrich Schleiermacher, The Christian Faith, eds. H. R. Mackintosh and J. S. Stewart (London: T&T Clark, 1928), p. 429.

[61] [130] Dawson, p. 151.

[62] [131] Dawson, p. 158.

[63] [132] Redeker, p. 205.

[64] [133] Dorrien, p. 206.

[65] [134] Dorrien, p. 206.

[66] [135] Redeker, p. 213.

 

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lundi, 23 octobre 2017

Le katechon selon Carl Schmitt: de Rome à la fin du monde

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Le katechon selon Carl Schmitt: de Rome à la fin du monde

Le retour du Christ sur Terre, la parousie, ne surviendra pas tant que le katechon​, cette figure « ​qui retient » le déchaînement du mal, agira efficacement. C’est ce qu’affirme l’apôtre Paul dans sa seconde épître aux Thessaloniciens. Si le texte biblique continue de faire débat chez les théologiens,​ ​certains​ ​pensent​ ​avoir​ ​identifié​ ​cette​ ​mystérieuse​ ​figure.

L’idée du katechon (κατέχων), que l’on pourrait traduire par « rétenteur » ou « retardateur », est largement ignorée des chrétiens eux-mêmes. Saint Paul s’adressant aux Thessaloniciens affirme pourtant, s’agissant de l’Antéchrist : « Maintenant vous savez ce qui le retient, de sorte qu’il ne se révélera qu’au temps fixé pour lui. Car le mystère d’iniquité est déjà à l’œuvre ; il suffit que soit écarté celui qui le retient à présent » (II Thessaloniciens 2, 6-7). Puissance qui empêche l’avènement du mal absolu et la fin du monde, le katechon atténue profondément l’eschatologie chrétienne dans son acception la plus fataliste, qui tend à considérer que le cours de l’histoire est tout entier entre les seules mains de la Providence.

Cette puissance qui retient semble devoir s’analyser en une entité théologico-politique. Vraisemblablement inspirée par Dieu pour la défense du bien chrétien, mais néanmoins libre des ses décisions comme l’est toute figure de la Création, elle réconcilie le déterminisme eschatologique avec une conception sphérique de l’histoire qui postule que l’homme, par l’action politique fondatrice de tout ordre, joue un rôle décisif dans le cours des événements et la lutte contre le règne du mal. C’est ce que notait Carl Schmitt, dernier grand penseur du katechon, lorsqu’il écrivait que « la foi en une force qui retient la fin du monde jette le seul pont qui mène de la paralysie eschatologique de tout devenir humain jusqu’à une puissance historique aussi imposante que celle de l’Empire chrétien des rois germaniques. » Cette conception schmittienne du katechon est issue du Nomos de la Terre, paru en 1950. Elle nous semble plus aboutie que celle utilisée en 1944 dans Terre et Mer, plus vague et générique, qui a pu conduire certains commentateurs à identifier le katechon à toute puissance étatique résistant à la marche forcée du monde vers une hypothétique anomie globale.

Le katechon est donc mû par une volonté propre et n’est pas la marionnette de Dieu sur terre. Il est une puissance décisive dont l’action concrète fonderait un ordre conforme à l’idée chrétienne du bien là où le désordre tendrait à s’insinuer. Chez Schmitt, le bien n’est pérenne que dans l’ordre, et la capacité à le conserver en décidant du cas d’exception est au souverain ce que le miracle est à Dieu. Cela suppose d’abord que la « vraie foi » soit établie et transmise, pour que l’idée chrétienne du bien contenue dans le décalogue et les « lois non écrites » puisse être poursuivie et défendue efficacement. L’institution de l’Église catholique romaine, vecteur et garante du dogme, est donc naturellement une composante du katechon selon Carl Schmitt, reprenant à son compte l’idée développée par nombre de théologiens et de Pères de l’Église. Mais parce que le katechon ne saurait se réduire à une autorité spirituelle, et suppose aussi la force d’action concrète du pouvoir politique, c’est plus précisément dans le Saint Empire romain germanique que le juriste en voyait une incarnation historique.

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Une​ ​figure​ ​duale

L’Église latine est une institution indéfiniment ancrée dans le sol romain, comme une garantie de sa permanence, pour fonder un ordre à vocation universelle. Et l’association au sein de l’Empire d’Occident des deux ordres distincts de l’imperium et du sacerdotium, dévolus respectivement à l’Empereur et au Pape, formait une authentique communauté dans la Respublica Christiana. Ordre éternellement chrétien, puisque bâti sur la pierre angulaire de l’Église (le tombeau de Pierre) et sur lequel le mal, se propageant dans le monde, finirait toujours par buter.

C’est donc véritablement une figure duale, à la fois théologique et politique, que celle du katechon. Et si elle apparaît clairement dans la Respublica christiana, c’est justement par la distinction formelle de ces deux ordres d’imperium et de sacerdotium, qui renvoie à la distinction entre un pouvoir (potestas) et une autorité qui le légitime et le transcende (auctoritas), là où les sociétés traditionnelles réunissaient pouvoir temporel et autorité spirituelle sous la figure unique du roi-prêtre. Cet imperium avait d’ailleurs acquis une dimension proprement chrétienne, se définissait comme le commandement utile à maintenir l’ordre chrétien, et s’ajoutait aux prérogatives des rois chaque fois qu’il était nécessaire. Un évènement historique important est situé au XIe siècle, date de la réforme grégorienne au cours de laquelle l’Église s’affirme, avec force, indépendante et supérieure aux pouvoirs temporels. Mais cette distinction n’a pas immédiatement provoqué une opposition frontale, ni même l’exclusion mutuelle des deux domaines. Il y avait au contraire, initialement, la recherche d’une synergie, d’une conciliation, que Carl Schmitt résume dans l’expression de « lutte pour Rome ». 

Or cette conception de la « puissance qui retient » ne pouvait valoir que dans un monde où tous les chemins menaient à Rome, où toute l’Europe chrétienne regardait vers le tombeau de Pierre comme vers le centre du monde et espérait la bénédiction de ses décisions politiques par les autorités romaines. L’autorité spirituelle ressemblait alors à un rempart au pouvoir politique, objet des passions potentiellement destructrices et contraires à l’ordre chrétien établi d’après Rome. Or, de ce romanisme médiéval concentrique, où le pouvoir cherchait à s’adjoindre l’autorité de l’Église, l’Europe a basculé vers un romanisme excentrique. C’est désormais à l’Église romaine de gagner le monde par ses propres moyens résiduels, d’imposer son bien par le bas, dépourvue de son autorité politique depuis l’émergence de la conception moderne et exclusive de la souveraineté. L’imperium et le sacerdotium, jusqu’alors distingués mais néanmoins liés, sont désormais deux ordres qui tendent à s’exclure mutuellement. L’État s’est divinisé.

L’Église se voit ainsi exclue des affaires politiques, contrainte à se plier aux exigences d’un monde où les États comptent sans elle. Si l’on peut certes reconnaître aux papes contemporains un rôle politique certain, celui-ci ne semble plus que ponctuel et exceptionnel et relève de l’influence bien plus que de la décision. On pense notamment à l’anticommunisme de Jean-Paul II et au soutien qu’il apporta à Solidarnosc en Pologne, peu avant l’implosion du bloc soviétique.

Symboliquement, la métamorphose de l’Église est acquise depuis le Concile « Vatican II », au cours duquel fut adopté l’usage des langues vernaculaires au détriment du latin dans les célébrations. L’Église qui s’adressait au monde entier dans un même langage s’est comme dissoute dans les particularismes. Elle est devenue une institution mondaine parmi d’autres, et sa lutte ne peut plus guère être menée en association avec les pouvoirs politiques en qui Carl Schmitt voyait les pierres fondatrices et les garanties de tout ordre. Non seulement les dimensions théologique et politique du katechon tendent à s’exclure, mais l’ordre romain du sacerdotium semble considérablement affaibli face à un imperium hypertrophié et dépourvu de sa dimension chrétienne ancienne. Pour bien des dépositaires du pouvoir politique, la parole de l’Église semble compter autant que celle d’une quelconque organisation non gouvernementale.

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Rome​ ​éternelle​ ​ou​ ​troisième​ ​Rome​ ​?

Certes, il convient de nuancer une approche trop européocentrique de la figure du katechon, le monde chrétien ne se limitant ni à Rome ni à l’Occident, et l’Église catholique latine n’étant pas la seule Église au monde. Cependant, sa forme historique sui generis lui a certainement confié une légitimité particulière. Et c’est l’Empire d’Occident qui conserva le lien géographique avec le tombeau de Pierre, assise tellurique déterminante aux yeux de Carl Schmitt et de nombreux théologiens occidentaux, car elle permettait un rayonnement universel puissant, une « juridiction universelle » partant d’un seul et unique centre de gravité. L’Église orthodoxe, en revanche, s’est développée dans une relation toute différente à la localité, témoignage d’un enracinement nécessairement moins imposant symboliquement, voyant le siège de Pierre en celui de chaque évêque.

L’idée que le katechon serait aujourd’hui incarné par la Russie orthodoxe fleurit pourtant ça et là depuis une dizaine d’années, notamment dans les courants eurasistes, comme une réminiscence de l’idéal d’une « troisième Rome » incarnée par Moscou. Le Patriarche Cyrille de Moscou, à la tête de l’Église orthodoxe russe, affirme régulièrement l’importance de la foi comme guide essentiel à la conduite des affaires politiques. Certes, il reproche aux sociétés d’Occident de s’estimer capables de fonder un ordre sain sur la négation de la chrétienté. De son côté, le gouvernement russe actuel manifeste ostensiblement son identité chrétienne. Il n’y a cependant là rien de comparable avec l’articulation historique de l’imperium et du sacerdotium, ni avec le rayonnement universel de l’Église romaine d’autrefois.

Ironie du sort, c’est peut-être aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies qui constitue l’autorité la plus universelle et qui continue le mieux l’autorité autrefois dévolue au Pape ! Un exemple parmi tant d’autres : la colonisation des Amériques par l’Espagne était fondée juridiquement sur un mandat de mission pontificale, tout comme l’ONU délivre aujourd’hui des mandats fondant des opérations dites de « maintien de la paix ». L’arbitrage moral quant à l’emploi de la violence armée par les puissances dominantes se fait au sein de cette organisation, au nom de principes aussi généraux que généreux. On a longtemps justifié les conquêtes et les pillages par la nécessité de répandre le christianisme sur les terres inexplorées, puis par celle de « civiliser » les « sauvages ». Désormais, on apporte les Droits de l’Homme. Ce que l’on appelait le droit des gens, le droit international applicable aux étrangers non chrétiens, se retrouve aujourd’hui sous l’appellation pudique de « droit international humanitaire », autrement appelé droit de la guerre. Mais l’Évangile ne figurant pas parmi les références de l’Organisation, et l’ordre qu’elle fonde ne semblant pas inspiré par les exigences chrétiennes, elle ne serait qu’une sorte de katechon laïque, de toute façon dépendante des États souverains. Or, purement théologique, un katechon n’aurait pas le pouvoir de fonder un ordre social ; purement politique, il serait condamné à dévier.

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Le katechon sous sa forme historique, tel que Carl Schmitt l’a conçu, est-il alors une figure morte ? Elle semble éteinte, et les métamorphoses juridiques et politiques l’ont certainement mené à prendre une forme nouvelle qui peine à se dévoiler. Mais une menace plane : ne le voyant plus, l’Occident ne semble plus croire au katechon, et donc ne plus se penser capable, et encore moins destiné, à l’incarner. Il faut dire que les prophéties hégéliennes modernes de la « fin de l’Histoire » et de l’avènement d’un « État universel et homogène » (Kojève) idyllique vont encore bon train, privant l’idée du katechon de sa raison d’être. C’est d’abord de son urgente nécessité qu’il faudra se convaincre pour pouvoir l’incarner à nouveau. Suivant l’intuition schmittienne, c’est certainement dans la redécouverte de la doctrine chrétienne véritable et ordonnée que se trouve la vitalité du katechon, ce qui conforte aujourd’hui les conservateurs dans l’Église face à un Pape controversé et souvent décrit comme progressiste. Mais se pose encore la question de la portée politique de cette doctrine dans le monde contemporain. Il n’y a plus guère de pieux monarque qui règne, et les souverainetés déjà diluées dans les foules démocratiques se partagent désormais entre une infinité de monstres bureaucratiques. Si le diable est celui qui divise, le katechon ne peut sans doute se retrouver que dans une convergence théologico-politique, une tendance à la réunification des deux ordres en équilibre.

jeudi, 19 octobre 2017

Le premier impératif politique

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Le premier impératif politique

par Laurent Ozon

Ex:https://www.centurienews.com

Quelles que soient les formes ou les idées auxquelles nous pouvons être attachés, ces principes ont tous pour condition, dans leur genèse comme dans leur capacité de réalisation historique, l’existence de populations distinctes pour les porter. Pas plus que les idées ne tombent du ciel, les créations de l’histoire, celles de l’esprit comme les autres, sont le résultat d’interactions entre plusieurs facteurs. Mais le facteur principal c’est l’acteur lui-même. Nous sommes, individuellement et collectivement des acteurs de l’histoire des techniques, sciences, politiques, arts et guerres. Nous sommes donc en premier lieu le facteur d’influence le plus évident de ce qui arrive et aussi de ce qui n’arrive pas. La nature profonde de ce que nous sommes, notre savoir-faire, notre vitalité, nos peurs, nos représentations collectives, nos créations, procèdent de nos particularités. Ces particularités telles qu’elles sont à un moment de l’histoire, influencent au premier chef, l’ensemble des domaines de réalisation des sociétés humaines.

Il serait assez facile de faire des comparaisons entre sociétés, entre pays dans tous les domaines. Du taux d’alphabétisation au nombre de brevets déposés par millier d’habitants, de la stabilité des institutions au Produit Intérieur Brut (PIB), de l’Indice de Développement Humain (IDH) aux pratiques alimentaires, du nombre de personnes porteuses du HIV à celui de l’âge moyen du premier enfant, du quotient intellectuel au taux de carbone émis, du pourcentage d’athées au niveau de conservatisme. On pourra évoquer les comportements individuels et familiaux comparés entre les Haïtiens et les Japonais lors des catastrophes environnementales qui les touchèrent il y a peu, la position dans la hiérarchie sociale à la troisième génération des Américains d’origine chinoise et de ceux d’origine afro-américaine aux USA, le niveau de diplôme moyen entre les enfants de troisième génération issues du Vietnam et ceux provenant de Turquie en Allemagne en 2013 etc. Il se trouvera toujours quelqu’un pour vous expliquer que ce que vous prenez pour une différence d’aptitude entre deux populations n’est que le résultat des hasards de l’histoire ou d’autres facteurs explicatifs environnementaux nombreux et complexes. Et lorsque certaines personnes vous expliquent que c’est complexe, ils veulent vous dire que toute conclusion à partir des données collectées est impossible et qu’il vaut donc mieux changer de sujet…

Je ne nie évidemment pas que des facteurs environnementaux ou « accidentels » puissent expliquer certaines différences d’aptitudes, de sensibilités, bref des particularités mesurables entre populations qui s’expriment dans l’histoire et leurs réalisations, dans tous les domaines des activités humaines. Mais le facteur qui s’exprime avec le plus de constance pour modeler les sociétés et affecter leurs particularités, c’est la population dont elles sont constituées. Rien de plus, rien de moins.

Prenons un exemple caricatural mais parlant. Si vous transfériez la population de la Papouasie Nouvelle Guinée en Suède et que vous transplantiez la population suédoise en Papouasie Nouvelle Guinée (pays de superficies équivalentes), qui peut soutenir que la Suède et la Papouasie Nouvelle Guinée seraient des collectivités aux caractéristiques maintenues ? Qui oserait prétendre que l’échange des populations de ces deux pays ne changerait pas radicalement les particularités et donc les indicateurs généraux de ces pays ?

Certes, cet exemple est caricatural, mais il a le mérite de rappeler une évidence : si l’histoire d’un pays est  déterminée par ses ressources et de nombreux autres éléments, le facteur le plus déterminant de tous est bien celui des populations qui le composent. Vous pourriez continuer à appeler Suède le pays qui porte aujourd’hui ce nom et son État, État suédois. Qui pourrait sérieusement parier que seulement 50 ans après le transfert de population imaginaire avec la Papouasie, l’ensemble des indicateurs qui permettent d’évaluer dans les grandes lignes, d’un pays, ne serait pas changé fondamentalement ?

Ces indicateurs, qu’ils soient économiques, culturels, technologiques et scientifiques, politiques ou sociologiques peuvent bien-sûr êtres toujours discutés. On peut dire que le PIB ne mesure pas le taux de bonheur brut et que le taux d’alphabétisation est un paramètre occidental. Mais quoi que l’on pense de ces paramètres, ils seraient différents. Radicalement différents. Indirectement et progressivement, les pays en question verraient se modifier l’ensemble de leurs particularités.

La condition de l’existence des formes historiques, de ces idées, de ces principes auxquels l’un et l’autre peuvent être attachés, dans notre histoire ou celles d’autres sociétés humaines, c’est l’existence, la persistance du substrat de population qui les a fait apparaître et qui est évidemment capable de les porter dans l’Histoire. C’est donc logiquement ce point qui constitue l’impératif politique dont tout dépendra toujours.

Augustin Cournot, découvreur de la posthistoire

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Augustin Cournot, découvreur de la posthistoire

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

« …Il doit aussi venir un temps où les nations auront plutôt des gazettes que des histoires… »

Henri de Man a pertinemment souligné l’importance du mathématicien, épistémologue et philosophe français Augustin Cournot, un génie méconnu qui a inventé au milieu du XIXème siècle la notion de posthistoire. Je suis allé voir ses œuvres sur archive.org et y ai trouvé quelques remarques écrites vers 1850. Cournot a été un grand mathématicien, un historien des sciences, un économiste chevronné, un philosophe, mais un modeste inspecteur de l’instruction publique ! Il fait penser à Kojève qui a fini fonctionnaire européen à Bruxelles…

Cournot incarne parfaitement ce génie médiocre, petit-bourgeois à la française, qui depuis Descartes ou Pascal jusqu’aux intellectuels du siècle écoulé, rêve de sa petite place dans la fonction publique. On peut dire aussi qu’il liquide à la française toute notion d’héroïsme ou de grandeur ! Hyppolite Taine a brillamment décrit l’avènement du bourgeois français. Ce bourgeois aura bien analysé un déclin dont il est la marque la plus pitoyable. Tiens, un peu de Taine :

« Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l'antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d'hommes que la société façonne, la moins capable d'exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu'ailleurs. Le gouvernement l'a déchargé des affaires politiques, et le clergé des affaires religieuses. La ville capitale a pris pour elle la pensée, et les gens de cour l'élégance. L'administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. Il vivote ainsi, rapetissé et tranquille. A côté de lui un cordonnier d'Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. »

Pour Athènes, cela dépend de l’époque. On recommandera au lecteur le texte de Démosthène sur la réforme des institutions publiques (Περὶ Συντάξεως). On y apprend qu’une loi punissait de mort ceux qui osaient proposer de rendre au service de la guerre les fonds usurpés par le théâtre…

La science française –penser surtout au grand et petit Poincaré – n’est pas seulement rationnelle : elle est raisonnable. Elle reflète d’ailleurs le déclin démographique et le vieillissement de notre population à cette époque, le dix-neuvième donc, qui contraste avec le dynamisme européen. Cela ne retire rien bien sûr à la puissance conceptuelle de nos savants et de nos mathématiciens, ni à leur lucidité.

Cournot s’intéresse à tous les sujets avec la méthode et l’étroitesse d’un penseur de son siècle. C’est qu’il évolue dans le monde petit-bourgeois de Madame Bovary. Il parle surtout de la révolution terminée, 120 ans avant François Furet dans un très bon livre inspiré par Tocqueville et Cochin :

« Alors l'histoire de la Révolution française sera close, son mouvement initial sera épuisé, aussi bien en ce qui concerne à l'intérieur la rénovation du régime civil, qu'en ce qui regarde les entreprises extérieures et l'action sur le système européen…. Dès les premières années du siècle on pouvait dire avec fondement que la révolution était finie, en ce sens que tout un ensemble d'institutions ecclésiastiques et civiles, que l'on appelle chez nous l'ancien régime, avait disparu pour ne plus reparaître… »

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Le renversement de la féodalité a été finalement la grande affaire de cette Fin de l’Histoire, ce que confirment aussi bien les autres grands esprits français. Après la Révolution apparaît le rond-de-cuir (Cochin) ou bien sûr le bureaucrate soviétique, qui ne demandent qu’à conserver les acquis de leur pitance révolutionnaire. Celle-ci devient d’ailleurs de plus en plus un spectacle : on s’habille à la romaine, comme disait Debord du temps de Robespierre, et on défile au pays de Staline.

Cournot voir poindre aussi une humanité plus tiède, une humanité ni, ni, comme diraient Barthes ou Mitterrand. Une humanité vaguement religieuse, tempérée par la médecine et les machines :

« Après toutes les explications dans lesquelles nous sommes entrés jusqu'ici, est-il besoin d'ajouter qu'autant nous croyons impossible d'extirper du cœur humain le sentiment religieux et le sentiment de la liberté, autant nous sommes peu disposés à admettre que les futures sociétés humaines reconnaîtront pour guides les prêtres d'une religion ou les apôtres de la liberté? »

Ni prêtres ni missionnaires libertaires… Notre matheux voit bien plus loin que tous les Vallès et Bakounine de son temps ultérieur (le seul que je vois se nicher à sa hauteur est cet australien nommé Pearson – un littéraire cette fois ! - qui décrira toute notre entropie dans son National life and character [sur archive.org])

On devrait se rassurer, puisque Cournot voit arriver une modération universelle avec un échec des idéologies, comme on disait encore. Avant Nietzsche il voit la modération arriver, modération qui on le sait sera un temps rejetée par les Allemands, et avec quelle imprudence ; mais d’un point de vue historique, Cournot a plus d’avance que Nietzsche, et il fonde ses considérations sur son observation mathématique et quasi-astronomique de l’Histoire :

« Tous les systèmes se réprimeront ainsi à la longue, quoique non sans de déplorables dommages, dans ce qu'ils ont de faux ou d'excessif. »

Lisez ces lignes superbes de lucidité et de froideur :

« Si rien n'arrête la civilisation générale dans sa marche progressive, il doit aussi venir un temps où les nations auront plutôt des gazettes que des histoires ; où le monde civilisé sera pour ainsi dire sorti de la phase historique ; où, à moins de revenir sans cesse sur un passé lointain, il n'y aura plus de matière à mettre en œuvre par des Hume et des Macaulay, non plus que par des Tite-Live ou des Tacite. »

A la place de Tacite on a Françoise Giroud.

Cournot voit un avènement de la fin de l’histoire qui est plutôt une mise en marge de l’Histoire, comme une porte qui sort de ses gonds, une bicyclette qui sort de la piste et dont la roue semble tourner, mais pour rien. Debord souligne « l’incessant passage circulaire de l’information, revenant à tout instant sur une liste très succincte des mêmes vétilles, annoncées passionnément comme d’importantes nouvelles. »

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Henri de Man écrira :

« L'histoire est un produit de l'esprit humain élaboré pour que les événements puissent être mesurés à l'échelle des buts et des forces humaines. À des événements comme ceux que nous vivons aujourd'hui il semble que cela ne s'applique plus ; et ce sentiment est à la base de l'impression que nous avons que « les temps sont révolus », que nous sommes entrés dans une époque en marge de l'histoire. Ce monde en marge de l'histoire qu'un instant Hamlet a entrevu dans le miroir de son âme égarée : un monde disloqué. »

Debord a consacré deux excellentes pages au baroque post-ontologique.

En prétendant progresser alors qu’il ne fait que du surplace, le monde décrit par Tocqueville, Cournot, De Man, vingt autres, ne fait que nous tromper. Seul un pessimisme radical mais révolutionnaire pourrait nous en préserver. L’optimisme moderne reste celui de la dévastation par la stupidité décrite par Cipolla, la dette et les attentats.

Kojève disait que pour supporter la fin de l’histoire il fallait apprendre le grec (lisez donc la syntaxe de Démosthène…). Je dirais plus sobrement qu’il faut surtout y apprendre à supporter sa journée et à la réussir. L’homme-masse allume sa télé, va au concert, à Las Vegas, au stade parce qu’il ne veut que de mimétisme et d’aliénation ;  l’homme de bien au sens d’honnête homme ou d’homme de bien du Yi King, apprend à jardiner ou à jouer du violon ; le reste c’est de l’actualité.

Sources

Antoine-Augustin Cournot, considérations sur la marche des idées (archive.org)

Henri de Man : considérations sur le déclin…

Debord - Commentaires

Taine – La Fontaine

vendredi, 06 octobre 2017

George Orwell and the Cold War: A Reconsideration

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George Orwell and the Cold War: A Reconsideration

[From Reflections on America, 1984: An Orwell Symposium. Ed. Robert Mulvihill. Athens and London, University of Georgia Press, 1986.]

In a recent and well-known article, Norman Podhoretz has attempted to conscript George Orwell into the ranks of neoconservative enthusiasts for the newly revitalized cold war with the Soviet Union.1If Orwell were alive today, this truly “Orwellian” distortion would afford him considerable wry amusement. It is my contention that the cold war, as pursued by the three superpowers of Nineteen Eighty-Four, was the key to their successful imposition of a totalitarian regime upon their subjects. We all know that Nineteen Eighty-Four was a brilliant and mordant attack on totalitarian trends in modern society, and it is also clear that Orwell was strongly opposed to communism and to the regime of the Soviet Union. But the crucial role of a perpetual cold war in the entrenchment of totalitarianism in Orwell’s “nightmare vision” of the world has been relatively neglected by writers and scholars.In Nineteen Eighty-Four there are three giant superstates or blocs of nations: Oceania (run by the United States, and including the British Empire and Latin America), Eurasia (the Eurasian continent), and Eastasia (China, southeast Asia, much of the Pacific).

The superpowers are always at war, in shifting coalitions and alignments against each other. The war is kept, by agreement between the superpowers, safely on the periphery of the blocs, since war in their heartlands might actually blow up the world and their own rule along with it. The perpetual but basically phony war is kept alive by unremitting campaigns of hatred and fear against the shadowy foreign Enemy. The perpetual war system is then used by the ruling elite in each country to fasten totalitarian collectivist rule upon their subjects. As Harry Elmer Barnes wrote, this system “could only work if the masses are always kept at a fever heat of fear and excitement and are effectively prevented from learning that the wars are actually phony. To bring about this indispensable deception of the people requires a tremendous development of propaganda, thought-policing, regimentation, and mental terrorism.” And finally, “when it becomes impossible to keep the people any longer at a white heat in their hatred of one enemy group of nations, the war is shifted against another bloc and new, violent hate campaigns are planned and set in motion.”2

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From Orwell’s time to the present day, the United States has fulfilled his analysis or prophecy by engaging in campaigns of unremitting hatred and fear of the Soviets, including such widely trumpeted themes (later quietly admitted to be incorrect) as “missile gap” and “windows of vulnerability.” What Garet Garrett perceptively called “a complex of vaunting and fear” has been the hallmark of the American as well as of previous empires:3 the curious combination of vaunting and braggadocio that insists that a nation-state’s military might is second to none in any area, combined with repeated panic about the intentions and imminent actions of the “empire of evil” that is marked as the Enemy. It is the sort of fear and vaunting that makes Americans proud of their capacity to “overkill” the Russians many times and yet agree enthusiastically to virtually any and all increases in the military budget for mightier weapons of mass destruction. Senator Ralph Flanders (Republican, Vermont) pinpointed this process of rule through fear when he stated during the Korean War:

Fear is felt and spread by the Department of Defense in the Pentagon. In part, the spreading of it is purposeful. Faced with what seem to be enormous armed forces aimed against us, we can scarcely expect the Department of Defense to do other than keep the people in a state of fear so that they will be prepared without limit to furnish men and munitions.4 This applies not only to the Pentagon but to its civilian theoreticians, the men whom Marcus Raskin, once one of their number, has dubbed “the mega-death intellectuals.” Thus Raskin pointed out that their most important function is to justify and extend the existence of their employers. … In order to justify the continued large-scale production of these [thermonuclear] bombs and missiles, military and industrial leaders needed some kind of theory to rationalize their use. … This became particularly urgent during the late 1950s, when economy-minded members of the Eisenhower Administration began to wonder why so much money, thought, and resources, were being spent on weapons if their use could not be justified. And so began a series of rationalizations by the “defense intellectuals” in and out of the Universities. … Military procurement will continue to flourish, and they will continue to demonstrate why it must. In this respect they are no different from the great majority of modern specialists who accept the assumptions of the organizations which employ them because of the rewards in money and power and prestige. … They know enough not to question their employers’ right to exist.5

In addition to the manufacture of fear and hatred against the primary Enemy, there have been numerous Orwellian shifts between the Good Guys and the Bad Guys. Our deadly enemies in World War II, Germany and Japan, are now considered prime Good Guys, the only problem being their unfortunate reluctance to take up arms against the former Good Guys, the Soviet Union. China, having been a much lauded Good Guy under Chiang Kai-shek when fighting Bad Guy Japan, became the worst of the Bad Guys under communism, and indeed the United States fought the Korean and Vietnamese wars largely for the sake of containing the expansionism of Communist China, which was supposed to be an even worse guy than the Soviet Union. But now all that is changed, and Communist China is now the virtual ally of the United States against the principal Enemy in the Kremlin.

Along with other institutions of the permanent cold war, Orwellian New-speak has developed richly. Every government, no matter how despotic, that is willing to join the anti-Soviet crusade is called a champion of the “free world.” Torture committed by “totalitarian” regimes is evil; torture undertaken by regimes that are merely “authoritarian” is almost benign. While the Department of War has not yet been transformed into the Department of Peace, it was changed early in the cold war to the Department of Defense, and President Reagan has almost completed the transformation by the neat Orwellian touch of calling the MX missile “the Peacemaker.”

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As early as the 1950s, an English publicist observed that “Orwell’s main contention that ‘cold war’ is now an essential feature of normal life is being verified more and more from day to day. No one really believes in a ‘peace settlement’ with the Soviets, and many people in positions of power regard such a prospect with positive horror.” He added that “a war footing is the only basis of full employment.”6

And Harry Barnes noted that “the advantages of the cold war in bolstering the economy, avoiding a depression, and maintaining political tenure after 1945 were quickly recognized by both politicians and economists.”

The most recent analysis of Orwell’s Nineteen Eighty-Four in terms of permanent cold war was in U.S. News and World Report, in its issue marking the beginning of the year 1984:

No nuclear holocaust has occurred but Orwell’s concept of perpetual local conflict is borne out. Wars have erupted every year since 1945, claiming more than 30 million lives. The Defense Department reports that there currently are 40 wars raging that involve one-fourth of all nations in the world — from El Salvador to Kampuchea to Lebanon and Afghanistan.

Like the constant war of 1984, these post-war conflicts occurred not within superpower borders but in far-off places such as Korea and Vietnam. Unlike Orwell’s fictitious superpowers, Washington and Moscow are not always able to control events and find themselves sucked into local wars such as the current conflict in the Middle East heightening the risk of a superpower confrontation and use of nuclear armaments.7

But most Orwell scholars have ignored the critical permanent-cold-war underpinning to the totalitarianism in the book. Thus, in a recently published collection of scholarly essays on Orwell, there is barely a mention of militarism or war. 8

In contrast, one of the few scholars who have recognized the importance of war in Orwell’s Nineteen Eighty-Fourwas the Marxist critic Raymond Williams. While deploring the obvious anti-Soviet nature of Orwell’s thought, Williams noted that Orwell discovered the basic feature of the existing two- or three-superpower world, “oligarchical collectivism,” as depicted by James Burnham, in his Managerial Revolution (1940), a book that had a profound if ambivalent impact upon Orwell. As Williams put it:

Orwell’s vision of power politics is also close to convincing. The transformation of official “allies” to “enemies” has happened, almost openly, in the generation since he wrote. His idea of a world divided into three blocs — Oceania, Eurasia, and Eastasia, of which two are always at war with the other though the alliances change — is again too close for comfort. And there are times when one can believe that what “had been called England or Britain” has become simply Airship One.9

A generation earlier, John Atkins had written that Orwell had “discovered this conception of the political future in James Burnham’s Managerial Revolution.” Specifically, “there is a state of permanent war but it is a contest of limited aims between combatants who cannot destroy each other. The war cannot be decisive. … As none of the states comes near conquering the others, however the war deteriorates into a series of skirmishes [although]. … The protagonists store atomic bombs.”10

To establish what we might call this “revisionist” interpretation of Nineteen Eighty-Four we must first point out that the book was not, as in the popular interpretation, a prophecy of the future so much as a realistic portrayal of existing political trends. Thus, Jeffrey Meyers points out that Nineteen Eighty-Four was less a “nightmare vision” (Irving Howe’s famous phrase) of the future than “a very concrete and naturalistic portrayal of the present and the past,” a “realistic synthesis and rearrangement of familiar materials.” And again, Orwell’s “statements about 1984 reveal that the novel, though set in a future time, is realistic rather than fantastic, and deliberately intensifies the actuality of the present.” Specifically, according to Meyers, Nineteen Eighty-Four was not “totalitarianism after its world triumph” as in the interpretation of Howe, but rather “the very real though unfamiliar political terrorism of Nazi Germany and Stalinist Russia transposed into the landscape of London in 1941–44.”11 And not only Burnham’s work but the reality of the 1943 Teheran Conference gave Orwell the idea of a world ruled by three totalitarian superstates.

Bernard Crick, Orwell’s major biographer, points out that the English reviewers of Nineteen Eighty-Four caught on immediately that the novel was supposed to be an intensification of present trends rather than a prophecy of the future. Crick notes that these reviewers realized that Orwell had “not written utopian or anti-utopian fantasy … but had simply extended certain discernible tendencies of 1948 forward into 1984.”12 Indeed, the very year 1984 was simply the transposition of the existing year, 1948. Orwell’s friend Julian Symons wrote that 1984 society was meant to be the “near future,” and that all the grim inventions of the rulers “were just extensions of ‘ordinary’ war and post-war things.” We might also point out that the terrifying Room 101 in Nineteen Eighty-Four was the same numbered room in which Orwell had worked in London during World War II as a British war propagandist.

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But let Orwell speak for himself. Orwell was distressed at many American reviews of the book, especially in Timeand Life, which, in contrast to the British, saw Nineteen Eighty-Four as the author’s renunciation of his long-held devotion to democratic socialism. Even his own publisher, Frederic Warburg, interpreted the book in the same way. This response moved Orwell, terminally ill in a hospital, to issue a repudiation. He outlined a statement to Warburg, who, from detailed notes, issued a press release in Orwell’s name. First, Orwell noted that, contrary to many reviews, Nineteen Eighty-Four was not prophecy but an analysis of what could happen, based on present political trends. Orwell then added: “Specifically, the danger lies in the structure imposed on Socialist and on liberal capitalist communities by the necessity to prepare for total war with the USSR and the new weapons, of which of course the atomic bomb is the most powerful and the most publicized. But danger also lies in the acceptance of a totalitarian outlook by intellectuals of all colours.” After outlining his forecast of several world superstates, specifically the Anglo-American world (Oceania) and a Soviet-dominated Eurasia, Orwell went on:

If these two great blocs line up as mortal enemies it is obvious that the Anglo-Americans will not take the name of their opponents. … The name suggested in 1984 is of course Ingsoc, but in practice a wide range of choices is open. In the USA the phrase “American” or “hundred per cent American” is suitable and the qualifying adjective is as totalitarian as any could wish.13

We are about as far from the world of Norman Podhoretz as we can get. While Orwell is assuredly anti-Communist and anticollectivist his envisioned totalitarianism can and does come in many guises and forms, and the foundation for his nightmare totalitarian world is a perpetual cold war that keeps brandishing the horror of modern atomic weaponry.

Shortly after the atom bomb was dropped on Japan, George Orwell pre-figured his world of Nineteen Eighty-Four in an incisive and important analysis of the new phenomenon. In an essay entitled “You and the Atom Bomb,” he noted that when weapons are expensive (as the A-bomb is) politics tends to become despotic, with power concentrated into the hands of a few rulers. In contrast, in the day when weapons were simple and cheap (as was the musket or rifle, for instance) power tends to be decentralized. After noting that Russia was thought to be capable of producing the A-bomb within five years (that is, by 1950), Orwell writes of the “prospect,” at that time, “of two or three monstrous super-states, each possessed of a weapon by which millions of people can be wiped out in a few seconds, dividing the world between them.” It is generally supposed, he noted, that the result will be another great war, a war which this time will put an end to civilization. But isn’t it more likely, he added, “that surviving great nations make a tacit agreement never to use the bomb against one another? Suppose they only use it, or the threat of it, against people who are unable to retaliate?”

Returning to his favorite theme, in this period, of Burnham’s view of the world in The Managerial Revolution,Orwell declares that Burnham’s geographical picture of the new world has turned out to be correct. More and more obviously the surface of the earth is being parceled off into three great empires, each self-contained and cut off from contact with the outer world, and each ruled, under one disguise or another by a self-elected oligarchy. The haggling as to where the frontiers are to be drawn is still going on, and will continue for some years.

Orwell then proceeds gloomily:

The atomic bomb may complete the process by robbing the exploited classes and peoples of all power to revolt, and at the same time putting the possessors of the bomb on a basis of equality. Unable to conquer one another they are likely to continue ruling the world between them, and it is difficult to see how the balance can be upset except by slow and unpredictable demographic changes.

In short, the atomic bomb is likely “to put an end to large-scale wars at the cost of prolonging ‘a peace that is no peace.’” The drift of the world will not be toward anarchy, as envisioned by H.G. Wells, but toward “horribly stable … slave empires.14

Over a year later, Orwell returned to his pessimistic perpetual-cold-war analysis of the postwar world. Scoffing at optimistic press reports that the Americans “will agree to inspection of armaments,” Orwell notes that “on another page of the same paper are reports of events in Greece which amount to a state of war between two groups of powers who are being so chummy in New York.” There are two axioms, he added, governing international affairs. One is that “there can be no peace without a general surrender of sovereignty,” and another is that “no country capable of defending its sovereignty ever surrenders it.” The result will be no peace, a continuing arms race, but no all-out war.15

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Orwell completes his repeated wrestling with the works of James Burnham in his review of The Struggle for the World (1947). Orwell notes that the advent of atomic weapons has led Burnham to abandon his three-identical-superpowers view of the world, and also to shuck off his tough pose of value-freedom. Instead, Burnham is virtually demanding an immediate preventive war against Russia,” which has become the collectivist enemy, a preemptive strike to be launched before Russia acquires the atomic bomb.

While Orwell is fleetingly tempted by Burnham’s apocalyptic approach, and asserts that domination of Britain by the United States is to be preferred to domination by Russia, he emerges from the discussion highly critical. After all, Orwell writes, the

Russian regime may become more liberal and less dangerous a generation hence. … Of course, this would not happen with the consent of the ruling clique, but it is thinkable that the mechanics of the situation may bring it about. The other possibility is that the great powers will be simply too frightened of the effects of atomic weapons ever to make use of them. But that would be much too dull for Burnham. Everything must happen suddenly and completely.16

George Orwell’s last important essay on world affairs was published in Partisan Review in the summer of 1947. He there reaffirmed his attachment to socialism but conceded that the chances were against its coming to pass. He added that there were three possibilities ahead for the world. One (which, as he had noted a few months before was the new Burnham solution) was that the United States would launch an atomic attack on Russia before Russia developed the bomb. Here Orwell was more firmly opposed to such a program than he had been before. For even if Russia were annihilated, a preemptive attack would only lead to the rise of new empires, rivalries, wars, and use of atomic weapons. At any rate, the first possibility was not likely. The second possibility, declared Orwell, was that the cold war would continue until Russia got the bomb, at which point world war and the destruction of civilization would take place. Again, Orwell did not consider this possibility very likely. The third, and most likely, possibility is the old vision of perpetual cold war between blocs of superpowers. In this world,

the fear inspired by the atomic bomb and other weapons yet to come will be so great that everyone will refrain from using them. … It would mean the division of the world among two or three vast super-states, unable to conquer one another and unable to be overthrown by any internal rebellion. In all probability their structure would be hierarchic, with a semi-divine caste at the top and outright slavery at the bottom, and the crushing out of liberty would exceed anything the world has yet seen. Within each state the necessary psychological atmosphere would be kept up by complete severance from the outer world, and by a continuous phony war against rival states. Civilization of this type might remain static for thousands of years.17

Orwell (perhaps, like Burnham, now fond of sudden and complete solutions) considers this last possibility the worst.

It should be clear that George Orwell was horrified at what he considered to be the dominant trend of the postwar world: totalitarianism based on perpetual but peripheral cold war between shifting alliances of several blocs of super states. His positive solutions to this problem were fitful and inconsistent; in Partisan Review he called wistfully for a Socialist United States of Western Europe as the only way out, but he clearly placed little hope in such a development. His major problem was one that affected all democratic socialists of that era: a tension between their anticommunism and their opposition to imperialist, or at least interstate, wars. And so at times Orwell was tempted by the apocalyptic preventive-atomic-war solution, as was even Bertrand Russell during the same period. In another, unpublished article, “In Defense of Comrade Zilliacus,” written at some time near the end of 1947, Orwell, bitterly opposed to what he considered the increasingly procommunist attitude of his own Labour magazine, the Tribune, came the closest to enlisting in the cold war by denouncing neutralism and asserting that his hoped-for Socialist United States of Europe should ground itself on the backing of the United States of America. But despite these aberrations, the dominant thrust of Orwell’s thinking during the postwar period, and certainly as reflected in Nineteen Eighty-Four, was horror at a trend toward perpetual cold war as the groundwork for a totalitarianism throughout the world. And his hope for eventual loosening of the Russian regime, if also fitful, still rested cheek by jowl with his more apocalyptic leanings.

Notes

1.Norman Podhoretz, “If Orwell Were Alive Today,” Harper’s, January 1983, pp. 30-37.

2.Harry Elmer Barnes, “How ‘Nineteen Eighty-Four’ Trends Threaten American Peace, Freedom, and Prosperity,” in Revisionism: A Key to Peace and Other Es­says (San Francisco: Cato Institute, 1980), pp. 142-43. Also see Barnes, An Intel­lectual and Cultural History of the Western World, 3d rev. ed., 3 vols. (New York: Dover, 1965), 3: 1324-1332; and Murray N. Rothbard, “Harry Elmer Barnes as Revisionist of the Cold War,” in Harry Elmer Barnes, Learned Crusader, ed. A. Goddard (Colorado Springs: Ralph Myles, 1968). pp. 314-38. For a similar anal­ysis, see F.J.P. Veal[e] Advance to Barbarism(Appleton, Wis.: C.C. Nelson, 1953), pp. 266-84.

3.Garet Garrett, The People’s Pottage (Caldwell, Idaho: Caxton Printers, 1953), pp. 154-57.

4.Quoted in Garrett, The People’s Pottage, p. 154.

5.Marcus Raskin, “The Megadeath Intellectuals,” New York Review of Books, November 14, 1963, pp. 6-7. Also see Martin Nicolaus, “The Professor, the Policeman and the Peasant,” Viet-Report, June-July 1966, pp. 15-19; and Fred Kaplan, The Wizards of Armageddon (New York: Simon and Schuster, 1983). [6]Barnes, “‘Nineteen Eighty-Four’ Trends,” p. 176.

6.Barnes, “‘Nineteen Eighty-Four’ Trends,” p. 176.

7.U.S. News and World Report, December 26, 1983, pp. 86-87.

8.Irving Howe, ed., 1984 Revisited: Totalitarianism in Our Century (New York: Harper and Row, Perennial Library, 1983). There is a passing reference in Robert Nisbet’s essay and a few references in Luther Carpenter’s article on the reception given to Nineteen Eighty-Four by his students at a community college on Staten Island (pp. 180, 82).

9.Raymond Williams. George Orwell (New York: Columbia University Press, 1971), p. 76.

10.John Atkins, George Orwell (London: Caldor and Boyars, 1954), pp. 237-38.

11.Jeffrey Meyers, A Reader’s Guide to George Orwell (London: Thames and Hud­son, 1975), pp. 144-45. Also, “Far from being a picture of the totalitarianism or the future 1984 is, in countless details, a realistic picture of the totalitarianism of the present” (Richard J. Voorhees, The Paradox of George Orwell, Purdue Uni­versity Studies, 1961, pp. 85-87).

12.Bernard Crick, George Orwell: A Life (London: Seeker and Warburg, 1981), p. 393. Also see p. 397.

13.George Orwell, The Collected Essays, Journalism and Letters of George Orwell, ed. Sonia Orwell and Ian Angus, 4 vols. (New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1968), 4:504 (hereafter cited as CEJL). Also see Crick, George Orwell, pp. 393-95.

14.George Orwell, “You and the Atom Bomb,” Tribune, October 19, 1945, re­printed in CEJL, 4:8-10.

15.George Orwell, “As I Please,” Tribune, December 13, 1946, reprinted in CEJL, 4:255.

16.George Orwell, “Burnham’s View of the Contemporary World Struggle,” New Leader (New York), March 29, 1947, reprinted in CEJL, 4:325.

17.George Orwell. “Toward European Unity,” Partisan Review July-August 1947, reprinted in CEJL, 4:370-75.

Jean-Claude Michéa: Between Capital & Archaic Socialism

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Jean-Claude Michéa: Between Capital & Archaic Socialism

 

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michea-64655164-407e2.jpgJean-Claude Michéa
Notre Ennemi, le Capital
Paris: Climats, 2016

Following the election of Donald Trump as the forty-fifth President of the United States, there was a flood of YouTube clips of Clinton supporters, mostly female, throwing tantrums of biblical proportions (the reader will know the sort of thing: he rent his garments and covered himself with sackcloth, etc.) which afforded this writer both amusement and bewilderment. The tearful outbursts of grief were without insight or intelligence of any kind, with one exception.

The exception was a young lady who, after assuring her viewers that she had “stopped crying about it,” turned her wrath on Hillary Clinton. Hillary, it seemed, had enabled “a fascist” to become President, and thereafter unfolded an attack on Clinton from one of the disappointed YouTube amazons, the first of its kind which indicated that a functioning human mind was at work. “We told you,” the lady wailed, “we warned you” (who she meant by “we” was unclear – Bernie supporters, perhaps?) “but you would not listen. We told you: don’t ignore the working man. Don’t ignore the rust belt . . . Hillary Clinton, we overlooked a lot, we overlooked the corruption, we overlooked your links to Goldman Sachs. We warned you. Hilary Clinton, oh, we kept warning you and you wouldn’t listen. You were so sure, so damn arrogant. I’m through with you. You ignored the working man. You ignored the rust belt. Now we’ve got this and it’s your fault! It’s your fault!” Amidst the wailing and petulance, this Clinton voter had made a telling point. Donald Trump won because he had not ignored the rust belt, and his opponent had.

The two seismic upsets of 2016, Brexit and the election of Donald Trump, confounding both polls and media expectations, would not have come about without the common man, the rust belt, the blue-collar worker, Joe Sixpack, slipping harness and voting with “the Right.” Those who had faithfully and reliably followed the Democrat/Labour parties through one election after another, as their parents had done, and in many cases their parents’ parents, voted in opposition to the way the urban professional class voted. These events highlighted the distance between the wealthy liberal elites deciding what constituted progressive and liberal politics, and the political priorities of the indigenous low-paid classes.

The gulf between wealthy urban liberals and an ignored, socially conservative working class is the focus of a new and impassioned political essay by the French sociologist Jean-Claude Michéa called Notre Ennemi, le Capital (Our Enemy: Capital). Jean-Claude Michéa is a socialist, but his analysis of recent events is far from that of the establishment Left-wing’s alarm at the “worrying rise of populism.” His critique of the Left – he does not call himself a Left-winger and indeed makes a critical distinction between Left-wing and socialist – is the hardest a socialist could make, namely that it has abandoned a realistic or meaningful critique of capitalism. “The modern Left,” Michéa claims, “has abandoned any kind of coherent critique of capital.”

The title of Michéa’s book might arguably be Our Enemy: Liberalism, since it is against the liberalism of the affluent that his ire is directed. The word liberal has slightly different connotations in France and the Anglophone world. In France, liberalism is primarily the ideology of faith in free markets with minimal state interference, “those who lose deserve to lose, those who win deserve to win”; and secondly, the expression of an ideology of individual freedom from social constraint. Michéa distinguishes two radically different trends at the heart of socialist/emancipatory movements in history. “In fact, socialism and the Left draw on, and have done from their very beginnings, two logically distinct narratives which only in part overlap.” (p. 47) Put simply, one is the doctrine which seeks the emancipation of the working class, that is to say, the de-alienation of all who work in society, a society organized from the bottom up and based in the organic community, while the other is the Left-wing notion of progress, the ongoing struggle to free individuals from social restraint or responsibility, for minority rights and abstract issues in the name of progress, a demand from the top down. This latter kind of progressive politics, according to Michéa, is not only not opposed to global capitalism, it undermines the very kind of social solidarity which should be expected to oppose global capitalist growth.

Michéa understands the liberal element of parties of progress as being fundamentally anti-democratic, echoing here the distinction made by the French thinker, Alain de Benoist, between democracy and liberalism. Liberalism, obsessed with minorities and what another socialist, George Galloway, famously mocked as “liberal hothouse” issues, is not in principle opposed to the centralization of economic power at all, according to Michéa. Quite the contrary. It is, however, opposed to democracy, that is to say to any entitlement giving a role in the allocation of power to the majority of the people and of any entitlement to a nation to decide its own destiny. In short, liberalism extends economic sovereignty at the expense of political sovereignty.

Michéa’s argument is given credence by the actions of the leaders of the European Union, who are as enthusiastic about deregulating trade as they are unenthusiastic about allowing popular democratic decisions to be made about trade. Liberalism, according to Michéa, is a belief system operating in the cause of capital which supports a minority to oppress a majority. He notes that the very authoritarian and viscerally anti-socialist General Pinochet in Chile pursued an extremely liberal economic policy based on the free market ideas of Friedrich Hayek, who did not much care about democratic liberties so long as rulers got the economy right and followed the economic precepts of Milton Friedman, whose pupils were advisers to the government. Michéa quotes Jean-Claude Juncker (from Le Figaro, January 29, 2015) as stating that “there could be no democratic choice against the European treaties.”

The stream of venom from the rich kids of Britain which erupted, and has not ceased, since June 23, 2016 (the day the EU referendum result was announced) is another casebook example of the liberal loathing of democracy. Liberal outrage is directed at the very notion that major political or economic decisions should be made by a majority of the people, instead of by a minority of wealthy experts, in the first place. A piece that is exemplary in its anti-democratic virulence was penned by the author Julian Barnes and published in the London Review of Books (“People Will Hate Us Again [4]“) in the aftermath of the referendum result in which he described how he and his affluent London dinner-party friends discussed whom they despised most among those who were responsible for the result. (Nearly all remainers were against having a referendum at all.) Barnes’ choice alighted on Nigel Farage. Here is a taste of Julian Barnes:

Farage . . . had been poisoning the well for years, with his fake man-in-pub chaff, his white paranoia and low-to-mid-level racism (isn’t it hard to hear English spoken on a train nowadays?). But of course Nigel can’t really be a racist, can he, because he’s got a German wife? (Except that she’s now chucked him out for the Usual Reasons.) Without Farage’s covert and overt endorsement, the smothered bonfire of xenophobia would not have burst into open flame on 23 June.

flparr2176.jpgHere is what can be understood as a socialist (in Michéa’s sense of the word) comment by the Filipino writer Karlo Mikhail, discussing Barnes’ novel Flaubert’s Parrot on his blog [5]:

That novels like this have sprouted everywhere like mushrooms in recent decades is expressive of a particular socio-political condition. The persistence of a world capitalist system that prioritizes individual profit over collective need goes side by side with the elevation of a hedonistic bourgeois writer to the pedestal as the bearer of individual creativity and artistic beauty.

Interestingly, Jean-Claude Michéa picks out the very same French writer, Gustave Flaubert, as an example of an early liberal’s obsession with minorities (in Flaubert’s case, with gypsies) – a love of minority rights accompanied by disdain for collective identities and aspirations as well as the working classes. Then and now, the liberal does not greatly care for your average Joe, at least not if Joe’s face is white. As Aymeric Patricot wrote in Les Petits Blancs (Little Whites), “They are too poor to interest the Right and too white to interest the Left.”

Michéa appeals to the notion highlighted by George Orwell (whom he greatly admires) of common decency, morality, and social responsibility. But liberalism, notes Michéa, has become the philosophy of skepticism and generalized deconstruction. There is all the difference in the world between a socialism of ordinary folk and a socialism of intellectuals, the latter being nothing more than a championing of causes by a deconstructivist elite. Liberalism is the philosophy of “indifferentiation anchored in the movement of the uniformity of the market” (p. 133). It is a central thesis of the book that liberalism creates individuation in human societies so that the individual is increasingly isolated and social cohesion declines, while paradoxically and running parallel to this development, the economic structures of the world become increasingly uniform, dominated by the power of capital and concentrated in the hands of an increasingly wealthy few.

Michéa stresses that liberalism then becomes obsessed by phobias. A “phobia,” once coined by the National Socialists in occupied Europe to describe the members of the French and Serb resistance movements, he notes wryly, has been recently reappropriated, presumably unknowingly, by opponents of Brexit to describe Brexiters, namely: “europhobe.” Michéa gives a sad but well-known example of the stultifying effects of the “phobia” label: the Rotherham scandal, which erupted in 2014 after the publication of the Jay Report. The report revealed that, from 1997 to 2013, over a thousand girls between ages 11 and 16 had been kidnapped or inveigled by Pakistani gangs to go with them, who were then abused, drugged, plied with alcohol, raped, and in some cases even tortured and forced into prostitution. The town council did nothing about it for over a decade, in spite of being informed about the situation, out of fear of being found guilty of one of the liberal phobias (in this case, “Islamophobia”). For Michéa, this is an example of “common decency” being sacrificed to a liberal prejudice. The protection of the young was seen as less important than risking the allegation of “Islamophobia.” Michéa then quotes Jean-Louis Harouel: the rights of man took precedence over the rights of people.

It is the often-concealed reality of the power of capital which constitutes the fraud of liberal progressive politics, for liberalism as an ideology is increasingly understood as an ideology of the well-to-do. The notion of social justice has shifted from the belief in fair pay and fair opportunities towards hothouse issues which serve to undermine social solidarity. So it is that feminists at the BBC are more concerned about equality of pay between high-earning male and female media executives than a fairer deal for the poor, whether male or female, in society as a whole. This feminist focus on highly-paid women was also evident in Hillary Clinton’s campaign. The Democratic Party seemed more concerned that women in top jobs should receive the same pay as men in comparable jobs than in wishing in any way to close the gap between America’s wealthy and poor. For poor Democrat families living on $1,500 a month, the “glass ceiling’” debate and the “solidarity of sisters” must have seemed very remote from their daily concerns.

For Michéa, all this is no coincidence, since progressive politics, as he sees it, has become a contributory force to the intensification of the power of capital and a vehicle of social disintegration, serving to reinforce the ever-greater concentration of capital in the hands of the few. All prejudices are combated except one: the prejudice of fiscal power. That is to say, nobody should face any barrier other than the barrier of money; and nobody should be excluded from any club, from buying any house, from doing anything he or she wants to do, so long as they have the financial means to do it. If they do not have the financial means to join the club, then their entitlement is withdrawn. Money is everything.

michgau.jpgMichéa, like Marx, believes that development by internationalist capitalism acts as a centrifuge to separate the two extremes of those who possess capital from those who do not. Modern society offers increasingly fewer loyalties other than loyalty to the principle of individual competition in a free market. This is why all group adhesion and group loyalty, whether ethnic or geographic or of social class, is undermined or openly attacked by the proponents of progress. In the tradition of socialist conservatives going back to George Orwell, Michéa sees the simplification of language, the dumbing-down of society, and the failure of modern education as part of a pattern.

An example of this centrifugal tendency as practiced by the European Union is the new guidelines issued by the Central European Bank to national banks, which state that mortgage loans should only be granted to those who can prove that they will be able to service the debt in its entirety within the span of their working life. This astonishing provision, which has received little publicity, is purportedly a measure to prevent a repetition of the American mortgage crisis of 2008, but if Michéa is correct, it is more likely a measure aimed at depriving the working and middle classes of the opportunity to become property owners. It will effectively accelerate the widely-noted tendency in Europe to reduce the power of the middle class, which is being driven upwards or downwards towards the minority of haves or the majority of have-nots. It used to be a Marxist axiom that the middle classes would turn to fascism if deprived of their livelihoods by capitalism, as an alternative to joining the ranks of the dispossessed. Michéa does not directly reiterate this Marxist analysis but he certainly implies it; he has obviously read Marx, and if he is not a Marxist (he leans more toward the writings of Pierre-Joseph Proudhon, the anarchist/socialist critic of Marx), he certainly owes a debt to the social-psychological analyses of the author of Das Kapital.

The capitalist system, to which even the Right-wing critiques of immigration are wed, necessarily strives towards growth, profit, greater efficiency, and expanding markets. All this means an ever-increasing globalization of business. There is an underlying contradiction between on the one hand an appeal to a conservative electorate fearful of job losses and distrustful of immigration, and a pursuit of growth and free trade to maximize profits on the other. Michéa identifies, rightly I believe, mass immigration as a phenomenon backed by the capitalist ruling order to ensure that full employment is never achieved, for the fear of unemployment is the best way to keep wages down. In this respect, pro-immigration anti-fascists act as security guards for high finance, terrorizing any opposition to cheap labor immigration. The contradiction between an appeal to job security and internationalization of capital and free financial markets underlies the promise to impose trade barriers and build walls while at the same time vigorously pursuing and furthering the cause of global trade and financial interdependence.

The liberalization and privatization which became fashionable in the 1980s was a response by the state to the collapse of Soviet Communism and a reaction against Keynesian solutions to stagnation and economic inertia. Michéa favors neither big government of the traditional socialist kind nor a free-market system caught, as he sees it, in a contradiction between a conservative wish to halt the free flow of individuals and its encouragement of the free flow of finance. Instead, Michéa argues for a third kind of social and economic order, one which eschews the centralization and economic top-down principles of Fordism and Leninism on the one hand and the liberal atomization of society as envisaged by progressives on the other. For Michéa, both are alienating and both destroy human communities in service to growth and the concentration of power in a political and economic center. Such centralist notions of ordering society are characterized even in post-war architecture: Michéa cites here the example of the ill-famed Pruitt-Igoe apartment complex [6], demolished in 1976, which was a monument to collectivist folly and liberal “good intentions,” and which can be summed up in the expression of all experts, in this case architectural and engineering experts: “Trust us, we know what’s best for you.”

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All abstract revolutionary doctrine, whether economic or political, warns Michéa, sacrifices the people to its power-seeking goals, whether Taylorist (revolutionizing the means of production to maximum efficiency) or Leninist (revolutionizing the control of the means of production to the point of absolute central control). Michéa finishes with a dire warning that what he calls “Silicon Valley liberalism” is the new face of an old ideology whose ideals are growth and progress in a world which cannot bear much more of either, and whose victims are the great mass of human beings, whose natural ethnic, geographical, and social attachments are being destroyed by humanity’s great enemy, capital. This is what Michéa has to say about the condescending pose of modern advanced and affluent liberal thinkers:

For a growing number of people of modest means, whose daily life is hell, the words “Left-wing” mean, if they mean anything at all, at best a defense of public sector workers (which they realize is a protected corral, albeit they may have an idealized view of public employees’ working conditions), and at worst, “Left-wing” means to them the self-justification of journalists, intellectuals, and show-business stars whose imperturbable and permanently patronizing tone has become literally intolerable. (p. 300) (Emphasis Michéa’s)

So now we are back where I started. Clinton ignored the rust belt and Donald Trump won the election. But now Donald Trump seems to be more interested in what he is most skilled at: accumulating capital. Brexit spokesmen seem to be more concerned with proving that Britain’s exit from the EU will open the way for more international trade than stressing that it provides the nation with the ability to close its borders and create a fairer society.

The liberal global model is one model of society, proposed to us today by the champions of globalism and growth; the society where, as John Rawls approvingly put it, individuals can exist side by side with each other while being mutually indifferent. Michéa asks, what is the second element within socialism, distinct from liberal notions of progress and growth, that is a model of society which is socialist but not global, not top-down? It is the socialism of the living indigenous community, of those who, as he puts it, “feel solidarity from the very beginning,” and socialism will be the rebirth, in superior form, of an archaic social type. The choice, in other words, is between a true community of kindred spirits and the barbarism of global centralized power, whose aim is to reduce human society to a mass of hapless individuals easily divided and oppressed.

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[4] People Will Hate Us Again: https://www.lrb.co.uk/v39/n08/julian-barnes/diary

[5] discussing Barnes’ novel Flaubert’s Parrot on his blog: https://karlomongaya.wordpress.com/2013/09/07/an-undelightful-novel-on-a-hedonist-novelist/

[6] Pruitt-Igoe apartment complex: https://en.wikipedia.org/wiki/Pruitt%E2%80%93Igoe

jeudi, 05 octobre 2017

Aristote en politique: bien commun, cité heureuse et autarcie

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Pierre Le Vigan:

Aristote en politique: bien commun, cité heureuse et autarcie

      Les leçons d’Aristote, philosophe moral et politique (laissons de côté ici l3e naturaliste) ne sont pas caduques. Elles doivent bien entendu être lues et comprises dans leur contexte. Mais leurs principes restent en bonne part actuels. Rappels d’une doctrine.

      La notion de cité est déterminante dans la philosophie politique d’Aristote. Quelle forme prend cette détermination ?  Pour Aristote l’appartenance à la cité précède et en même temps influe de manière décisive sur la définition de sa philosophie politique, c’est-à-dire du bien en politique. En d’autres termes, l’hypothèse préalable d’Aristote à l’élaboration même de sa pensée politique, c’est que l’existence d’un monde commun, un monde qui s’incarne dans la cité,  précède la définition du bien commun et le conditionne. Pour comprendre ce cheminement, nous verrons d’abord ce que veut dire « la cité » pour Aristote (I). Nous examinerons quelle conception il en a.  Nous verrons ensuite (II) comment la pensée politique d’Aristote prend place dans son analyse de la pratique (praxis).

     La philosophie pratique est pour Aristote la « philosophie des choses humaines ». C’est donc la philosophie de la politique. La pensée aristotélicienne suppose un monde commun, la notion de cité et d’appartenance à la cité. Politikon vient de polis. L’étymologie de politique renvoie à la cité. La pensée d’Aristote n’est jamais une pensée hors sol. Elle part de la cité pour chercher le bien de la cité.

Une communauté d’hommes libres

     I - La cité (en grec polis) est un Etat avant d’être une ville. Mais c’est aussi une communauté d’hommes libres avant d’être un Etat. C’est une communauté de citoyens libres qui partagent la même histoire, les mêmes héros, les mêmes dieux, les mêmes rites et les mêmes lois. Fustel de Coulanges a souligné l’importance de la religion dans la fondation des cités (La cité antique, 1864). Ainsi, chaque cité grecque a un panthéon différent. La cité en tant que polis n’est pas d’abord une donnée spatiale. Mais il se trouve que (a fortiori dans un paysage accidenté comme celui de la Grèce, ou de la Grande Grèce [Sicile]), la cité correspond aussi à un lieu déterminé, à une géographie particulière. Cette communauté de citoyens dans un lieu particulier, c’est une communauté politique souveraine au côté d’autres communautés politiques, rivales, alliées ou ennemis.

AR-L-1.jpg   « Il est donc manifeste que la cité n'est pas une communauté de lieu, établie en vue de s'éviter les injustices mutuelles et de permettre les échanges. Certes, ce sont là des conditions qu'il faut nécessairement réaliser si l'on veut qu'une cité existe, mais quand elles sont toutes réalisées, cela ne fait pas une cité, car [une cité] est la communauté de la vie heureuse, c'est-à-dire dont la fin est une vie parfaite et autarcique pour les familles et les lignages » (Politiques, III, 9, 6-15).  

     Dans Politiques (nous nous référerons à la traduction de Pierre Pellegrin, Garnier Flammarion, 1990), Aristote s’attache à déterminer quels doivent être les rapports des hommes entre eux. C’est là le cœur de la politique. Cela ne concerne que les hommes qui vivent dans un cadre politique, c’est-à-dire dans une cité. Les Barbares sont donc exclus et, à l’intérieur même de la cité, les esclaves et les femmes. Les Barbares sont certes, tout comme les esclaves et les femmes, des êtres rationnels, mais ce ne sont pas des êtres politiques.

     Que sont les êtres politiques au sens grec ? Si l’homme possède le langage, et pas seulement la voix, c’est qu’il est destiné à vivre en société. Par le langage, l’homme peut se livrer au discours et à la délibération. Aristote explique cela ainsi : «  § 10. […] la parole est faite pour exprimer le bien et le mal, et, par suite aussi, le juste et l'injuste ; et l'homme a ceci de spécial, parmi tous les animaux, que seul il conçoit le bien et le mal, le juste et l'injuste, et tous les sentiments de même ordre, qui en s'associant constituent précisément la famille et l'État. § 11. On ne peut douter que l'État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l'emporte nécessairement sur la partie, puisque, le tout une fois détruit, il n'y a plus de parties, plus de pieds, plus de mains, si ce n'est par une pure analogie de mots, comme on dit une main de pierre ; car la main, séparée du corps, est tout aussi peu une main réelle. […] § 12. Ce qui prouve bien la nécessité naturelle de l'État et sa supériorité sur l'individu, c'est que, si on ne l'admet pas, l'individu peut alors se suffire à lui-même dans l'isolement du tout, ainsi que du reste des parties ; or, celui qui ne peut vivre en société, et dont l'indépendance n'a pas de besoins, celui-là ne saurait jamais être membre de l'État. C'est une brute ou un dieu.  » Or chacun comprendra que les brutes sont plus courantes que les dieux.

    Aristote poursuit : « § 13. La nature pousse donc instinctivement tous les hommes à l'association politique. Le premier qui l'institua rendit un immense service ; car, si l'homme, parvenu à toute sa perfection, est le premier des animaux, il en est bien aussi le dernier quand il vit sans lois et sans justice. […]. Sans la vertu, c'est l'être le plus pervers et le plus féroce ; il n'a que les emportements brutaux de l'amour et de la faim. La justice est une nécessité sociale ; car le droit est la règle de l'association politique, et la décision du juste est ce qui constitue le droit » (Politiques I, 1253a).

      Mais, comment vivre bien en société, c’est-à-dire en fonction du bien ? Comment faire ce qu’ordonne la vertu ? « Comment atteindre à ce noble degré de la vertu de faire tout ce qu’elle ordonne » (Politiques, IV, 1, 6).

     Comment s’incarne cette recherche de la vertu ? Aristote voyait pour la cité trois types de constitutions possibles : la monarchie, l’aristocratie, le gouvernement constitutionnel (politeia) ou république. Le premier type, la monarchie, est le gouvernement d’un seul, qui est censé veiller au bien commun. Le deuxième type, l’aristocratie est censée être le gouvernement des meilleurs. Le troisième type, le gouvernement constitutionnel, ou encore la république, est censé être le gouvernement de tous.

     Ces trois régimes ont leur pendant négatif, qui représente leur dévoiement. Il s’agit de la tyrannie, perversion de la monarchie, de l’oligarchie (gouvernement de quelques-uns) comme dévoiement de l’aristocratie, de la démocratie comme perversion du gouvernement constitutionnel (Politiques, III, 7, 1279a 25). « Aucune de ces formes ne vise l’avantage commun » conclut Aristote.

 AR-L-2.jpg   Notons que la démocratie est, pour Aristote, le gouvernement des plus pauvres, à la fois contre les riches et contre les classes moyennes. Le terme « démocratie » est ainsi pour Aristote quasiment synonyme de démagogie. (Cela peut choquer mais nos élites n’ont-elles pas la même démarche en assimilant toute expression des attentes du peuple en matière de sécurité et de stabilité culturelle à du « populisme », terme aussi diabolisateur que polysémique, comme l’a montré Vincent Coussedière dans Eloge du populisme et Le retour du peuple. An I ?) 

    Pour Aristote, la politique est un savoir pratique. Il s’agit de faire le bien. Dans la conception aristotélicienne de la cité, tout le monde est nécessaire mais tout le monde ne peut être citoyen. Seul peut être citoyen celui qui n’est pas trop pris par des tâches utiles. « Le trait éminemment distinctif du vrai citoyen, c’est la jouissance des fonctions de juge et de magistrat » (Politiques, II, 5, 1257a22). Le paysan et l’artisan ne peuvent être citoyens, pas plus que le commerçant.

      L’esclavage, qui n’était pourtant pas très ancien dans la Grèce antique, est justifié par Aristote. Il permet aux citoyens de s’élever au-dessus de certaines tâches matérielles. « Le maître doit autant que possible laisser à un intendant le soin de commander à ses esclaves, afin de pouvoir se livrer à la vie politique ou à la philosophie, seules activités vraiment dignes d'un citoyen » (Politiques, I, 2, 23). La vision qu’a Aristote de la société est incontestablement hiérarchique.  

     Toutefois, l’inégalitarisme d’Aristote n’empêche pas qu’il défende l’idée d’un minimum à vivre pour tous. « Aucun des citoyens ne doit manquer des moyens de subsistance » (Politiques, VII, 10, 1329a). Ce point de vue est logique car Aristote définit le but de la communauté comme « la vie heureuse » : « Une cité est la communauté des lignages et des villages menant la vie heureuse c’est-à-dire dont la fin est une vie parfaite et autarcique. Il faut donc poser que c'est en vue des belles actions qu'existe la communauté politique, et non en vue de vivre ensemble ». (Politiques, III, 9, 6-15).

        Le bonheur de la cité et l’autarcie sont donc liés. L’autarcie est l’une des conditions du bonheur, et un signe du bonheur. Cela, qui est notre cité, est limité et cela est bien, justement parce que ce qui est bien tient dans des limites. Que nous disent les limites ? Que le bien a trouvé sa place. Qu’il est à sa place. Cette notion d’autosuffisance ou encore d’autarcie s’oppose à un trop grand pouvoir des commerçants, c’est-à-dire de la fonction marchande. C’est aussi une vision hiérarchique où sont respectées les diversités et les inégalités, car si toutes les diversités ne sont pas des inégalités, beaucoup le sont.

     La question de la taille de la cité n’est pas un détail dans la pensée d’Aristote. Elle fait partie du politique, comme le remarque Olivier Rey (dans Une question de taille, Stock, 2014). « Une cité première, note Aristote, est nécessairement celle qui est formée d’un nombre de gens qui est le nombre minimum pour atteindre l’autarcie en vue de la vie heureuse qui convient à la communauté politique [...]. Dès lors, il est évident que la meilleure limite pour une cité, c’est le nombre maximum de citoyens propre à assurer une vie autarcique et qu’on peut saisir d’un seul coup d’œil. » (Politiques, VII). En d’autres termes, dès que l’autarcie est possible, la cité doit cesser de grandir.

       Ni trop petite ni trop grande, telle doit donc être la cité. C’est le concept de médiété que l’on retrouve ici. La cité doit être comprise entre 10 et 100 000 habitants, précise Aristote (Ethique à Nicomaque, IX, 9, 1170 b 31). Il est évident que 10 est un chiffre que l’on ne doit pas prendre au premier degré. Aristote veut dire que la population de la cité doit au moins excéder une famille, qu’elle est toujours autre chose et plus qu’une famille. L’idée d’un maximum d’habitants est la plus importante à retenir. Etre citoyen n’est plus possible pour Aristote dans une cité trop grande, trop peuplée. Et il semble bien que le chiffre de 100 000 habitants soit l’ordre d’idée à retenir. (On notera que les circonscriptions françaises pour les députés étaient à l’origine de la IIIe République de 100 000 habitants. Un vestige des conceptions d’Aristote ?). En résumé, Aristote rejette le gigantisme.

     Rappelons ce qu’Aristote dit de la vertu majeure de médiété. « Ainsi donc, la vertu est une disposition à agir d'une façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme la déterminerait l'homme prudent. Mais c'est une médiété entre deux vices, l'un par excès et l'autre par défaut ; et c'est encore une médiété en ce que certains vices sont au-dessous, et d'autres au-dessus de "ce qu'il faut" dans le domaine des affections aussi bien que des actions, tandis que la vertu, elle, découvre et choisit la position moyenne. C'est pourquoi, dans l'ordre de la substance et de la définition exprimant la quiddité, la vertu est une médiété, tandis que dans l'ordre de l'excellence et du parfait, c'est un sommet » (Ethique à Nicomaque, II, 6, 1106b7-1107a8).      Disons-le autrement : la vertu est l’absence d’excès, ni excès de prudence qui serait alors timidité peureuse ni excès de témérité, qui serait hardiesse inconsciente, et cette façon de s’écarter des excès est une excellence. Pour la cité, le principe est le même : il s’agit de suivre une ligne de crête entre les excès que serait une trop petite et une trop grande taille. En tout état de cause, la question de la bonne taille est importante. Du reste, on ne peut remédier à une trop grande taille par la fermeture des frontières. Selon Aristote, il ne suffirait pas « d’entourer de remparts » tout le Péloponnèse pour en faire une cité (Politiques, III, 1, 1276a). Il faut éviter la démesure. Après, il est trop tard.

     C’est parce qu’elle est parfaitement adaptée à elle-même que la cité tend par nature à l’autarcie. Sa finitude est sa perfection. « Cette polis représente la forme la plus haute de la communauté humaine », note Hannah Arendt (La politique a-t-elle encore un sens ? L’Herne, 2007). Néanmoins, la coopération, l’association entre cités est possible. C’est l’isopolitéia, le principe d’une convention ou encore association entre cités dont l’un des aspects était souvent le transfert de populations pour rétablir les équilibres démographiques (cf. Raoul Lonis, La cité dans le monde grec, Nathan, 1994 et Armand Colin, 2016). Exemple : Tripoli veut dire « association de trois cités ».

*

     II – Comment la politique s’inserre-t-elle dans ce qu’Aristote appelle praxis ? Et quelles conséquences peut-on en tirer sur la cité ?

    Praxis, technique et production

   AR-L-3.jpgDans la philosophie d’Aristote, on rencontre plusieurs domaines : la theoria (la spéculation intellectuelle, ou  contemplation), l’épistémé (le savoir), la praxis (la pratique) et la poiesis (la production, qui est précisément la production ou la création des œuvres). Nous avons donc quatre domaines.   La theoria c’est, à la fois, ce que nous voyons et ce que nous sommes. L’epistémé, c’est ce que nous pouvons connaitre. La poiesis, c’est ce que nous faisons. La praxis, c’est comment nous le faisons.

      Praxis et poiesis sont proches sans se confondre. La production (poiesis) est inclue dans la pratique (praxis). C’est parce que nous travaillons de telle façon que nous produisons tel type de choses. Mais tout en étant inclue, elle s’y oppose. En effet, la pratique trouve sa fin en elle-même, elle n’a pas besoin de se justifier par une production, par un objet produit, une œuvre produite. La pratique est liée à notre être propre.

    Pour le dire autrement, la production est une action, mais toute action n’est pas une production. Certaines pratiques ne sont pas des productions. Elles n’ont pas pour objet une œuvre comme produit. Un exemple est celui de la danse.

    Une production a par contre sa fin à l’extérieur d’elle-même : travailler pour construire une chaise, ou un attelage de chevaux, par exemple. En outre, ce qui relève de la production mobilise aussi la techné, l’art des techniques. Avec la poiesis, il s’agit de produire quelque chose d’extérieur à soi, ou d’obtenir un résultat extérieur à soi (par exemple, réaliser un bon chiffre d’affaire pour un commerçant). Par opposition à cela, la pratique ou praxis possède en elle-même sa propre fin. Elle est en ce sens supérieure à la production. Ainsi, bien se conduire, qui est une forme de praxis, est une activité immanente à soi.    

         L’enjeu de la praxis est toujours supérieur à celui de la poiesis. Le but ultime de la praxis, c’est le perfectionnement de soi. Ce qui trouve en soi sa propre fin est supérieur à ce qui trouve sa fin à l’extérieur de soi.

     Or, qu’est-ce qui relève de l’action hors la production ? Qu’est-ce qui relève de la praxis ? C’est notamment l’éthique et la politique. Les deux sont indissociables. Ce sont des domaines de la pratique. Là, il s’agit moins de chercher l’essence de la vertu que de savoir comment pratiquer la vertu pour produire le bien commun.  « L’Etat le plus parfait est évidemment celui où chaque citoyen, quel qu’il soit, peut, grâce aux lois, pratiquer le mieux la vertu, et s’assurer le plus de bonheur. » (Politiques, IV, 2, 1324b). L’ordre social et politique optimum est celui qui permet la pratique de la vertu, qui travaille ainsi à atteindre le bien commun. C’est ce qui permet le bonheur des hommes dans la cité.

       Si la vertu politique ne se confond pas avec la philosophie, les deux se nourrissent réciproquement. En recherchant la sagesse, l’homme arrive à la vertu, qui concerne aussi bien l’individu que l’Etat et est nécessaire dans les deux cas. En effet, la politique est « la plus haute de toutes les sciences » (Politiques, III, 7).

      Comment pratiquer la vertu ? Est-ce une question de régime politique ? Qu’il s’agisse de monarchie, d’aristocratie ou de république (régime des citoyens), tous ces régimes peuvent être bons selon Aristote selon qu’ils modèrent les désirs extrêmes et sont animés par la vertu. La politique a des conditions en matière de morale et en matière d’éducation. Dans le même temps, il n’y a pas de morale (ou d’éthique) ni d’éducation qui n’ait de conséquences politiques. Les deux se tiennent. (Platon, ici d’accord avec Aristote, avait souligné que la politique était avant tout affaire d’éducation, d’expérience et de perfectionnement de soi).

       En tout état de cause, le collectif, le commun doit primer sur l’individuel. En matière d’éducation, c’est l’Etat qui doit enseigner ce qui est commun, la famille assurant l’éducation dans le domaine privé. « C’est une grave erreur de croire que chaque citoyen est maitre de lui-même ; chacun appartient à l’Etat. » (Politiques, V, 1, 2) (Mais l’Etat n’est pas un lointain, c’est un proche car nous avons vu que les cités avec des populations de grande taille sont proscrites).

     La philosophie d’Aristote n’est pas égalitariste, avons-nous déjà noté : chacun a sa place et sa fonction. Pierre Pellegrin résume cela en expliquant que pour Aristote « chacun doit recevoir proportionnellement à son excellence ». Aristote ne pense pas que les hommes soient tous les mêmes même si « tous les hommes pensent que la vie heureuse est une vie agréable » (Ethique à Nicomaque, 1153b15), et que le bonheur est ce « qui est conforme à la vertu la plus parfaite, c'est-à-dire celle de la partie de l'homme la plus haute » (Ethique à N., X, 7).    

         La justice, c’est que chacun fasse ce qu’il doit faire en allant vers la perfection dans sa fonction.  Le bien suprême, le bonheur (eudaimonia) des  hommes consiste dans la pleine réalisation de ce qu’ils sont dans la société. Il y a chez Aristote un lien permanent entre justice et politique d’une part, morale et éducation d’autre part. Ce lien consiste à faire prévaloir en nous la partie rationnelle de notre âme sur la partie irrationnelle.

            Les idées d’Aristote sont toutes conçues par rapport à la cité. C’est à la fois leur limite et leur force. Aristote suppose un préalable à toute pensée politique. C’est l’existence d’un monde commun, une cité commune, un peuple commun. Le bien commun, c’est la justice, et la condition de la justice, c’est l’amitié (philia).  « La justice ira croissant avec l’amitié » (Ethique à Nicomaque, VII, 11).

  AR-L-4.jpg      L’amitié n’est pas le partage des subjectivités comme dans le monde moderne, c’est autre chose, c’est l’en-commun de la vertu. « La parfaite amitié est celle des hommes vertueux et qui sont semblables en vertu. » (Ethique à Nicomaque, VIII, 4, 1156 b, trad. Jules Tricot). Hannah Arendt a bien vu cela. Elle rappelle que l’amitié n’est pas l’intimité mais un discours en commun, un « parler ensemble » (Vies politiques, 1955, Gallimard, 1974). « Pour les Grecs, l’essence de l’amitié consistait dans le discours », écrit Hannah Arendt. Le monde commun créé par le partage de l’amitié implique un sens commun du monde et des choses, comme l’avait vu aussi Jan Patocka (Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Verdier, 1981). L’amitié  contribue à la solidité de la cité. « Toute association est une parcelle de la cité » (« comme des parcelles de l’association entre des concitoyens »).  Le principe de l’amitié n’est pas véritablement différent de celui de la politique. Il implique la justice et la vérité. « Chercher comment il faut se conduire avec un ami, c'est chercher une certaine justice, car en général la justice entière est en rapport avec un être ami » (Ethique à Eudème, VII, 10, 1242 a 20).

       La politique est donc affaire de contexte – ce qui est une autre façon de parler de monde commun : « il ne faut pas seulement examiner la meilleure organisation politique, mais aussi celle qui est possible » (Politiques, IV, 1, 1288b).

      Pour Aristote, l’homme n’entre jamais en politique en tant qu’homme isolé. Il porte toujours un monde, qui est celui des siens, celui de  sa cité. Après avoir expliqué que la cité vise naturellement l’autarcie, c’est à dire le fait de se suffire à soi, Aristote explique : « Il est manifeste […] que la cité fait partie des choses naturelles et que l’homme est un animal politique  et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est injurié en ces termes par Homère : ’’sans lignage, sans foi, sans foyer’’ (...). Il est évident que l'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille et que n'importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; et seul parmi les animaux l'homme a un langage » (Politiques, I, 2, 1252a).

    La cité d’Aristote n’existe pas que pour satisfaire les besoins. En visant la vie heureuse, qui est un objectif collectif même s’il concerne chacun, elle condamne l’individualisme et met au premier plan l’amitié. Celle-ci n’est pas une affaire privée mais une affaire publique. La vie heureuse est l’affaire de tous et c’est un projet pour tous. Elle est ce qui anime une cité dans laquelle règne la justice.  « Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or, avoir de telles notions en commun, c'est ce qui fait une famille et une cité. » (Politiques, I, 2, 1253a8). L’individu seul pourrait ne viser que son plaisir. La cité le pousse à dépasser sa subjectivité pour se hisser vers la recherche du bien commun.

Pierre Le Vigan.

Pierre Le Vigan est écrivain. https://www.amazon.fr/-/e/B004MZJR1M

Son dernier livre est Métamorphoses de la ville. Disponible en Format numérique ou broché

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dimanche, 01 octobre 2017

Patrick Marcolini: La société du spectacle

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Patrick Marcolini: La société du spectacle

La société du spectacle.
Avec Patrick Marcolini à la Bibliothèque nationale de France.
 
Le concept de "société du spectacle" est le plus souvent mal compris et ne rend pas justice de la puissance de l'analyse développée au sein du mouvement situationniste en général, et par Guy Debord en particulier.
 
C'est bien l'analyse du spectacle comme modalité de l'aliénation qui est originellement visée, et la dénonciation d'un rapport social où l'identification psychologique des masses s'accorde aux représentations de la vie qui leur sont données à voir.
 
La conséquence n'étant autre que leur maintient dans un état de passivité quant à leur vie réelle.
 
Avec Patrick Marcolini, retour sur la genèse de ce concept qui trouve ses racines dans la critique que Bertolt Brecht fait du théâtre.
 

vendredi, 29 septembre 2017

Thor v. Waldstein – Macht und Öffentlichkeit

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Thor v. Waldstein – Macht und Öffentlichkeit

Vom 15. bis 17. September 2017 fand in Schnellroda die 18. Sommerakademie des Instituts für Staatspolitik statt. Thema war, passend zur unmittelbar bevorstehenden Bundestagswahl am 24. September, die »Parteienherrschaft«. Rechtsanwalt und Autor Dr. Dr. Thor v. Waldstein sprach über die Frage nach dem Verhältnis zwischen »Macht und Öffentlichkeit«. Beachten Sie auch Thor v. Waldsteins thematisch ergänzenden Vortrag über »Metapolitik und Parteipolitik«!
 
Hier entlang zum Mitschnitt: https://www.youtube.com/watch?v=iQSIT...
 
Weitere Informationen im Netz unter: http://staatspolitik.de
 

Georges Sorel et la montée de la médiocrité moderne

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Georges Sorel et la montée de la médiocrité moderne

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Rien de tel qu’un bon classique pour nous consoler de vivre en l’an 2017 ! Dans Les illusions du progrès, publiées à la fin du dix-neuvième siècle, (archive.org) Georges Sorel décrit des temps qui traînassaient déjà. Florilège :

« Depuis que la démocratie se croit assurée d’un long avenir et que les partis conservateurs sont découragés, elle n’éprouve plus le même besoin qu’autrefois de justifier son droit au pouvoir par la philosophie de l’histoire. »

Politique ? Finance ? : « Le spectacle écœurant donné au monde par les écumeurs de la finance et de la politique explique le succès qu’obtinrent assez longtemps les écrivains anarchistes. »

La déception de la démocratie parlementaire fut rapide. Bakounine observait qu’elle n’avait mis que cinq ans à anéantir l’Italie (Bakounine (Œuvres, 1911, Tome V).

Religion délavée ? Pape François ? :

« Un clergé, plus ou moins incrédule, qui travaille de concert avec les administrations publiques, pour améliorer le sort des hommes ; voilà ce dont se contente fort bien la médiocrité. »

Mais la source du sublime se tarit : « Les personnes religieuses vivent d’une ombre. Nous vivons de l’ombre d’une ombre. De quoi vivra-t-on après nous ? »

Sorel remarque chez les scientifiques un développement de tartuferie religieuse qui a depuis gagné tous les croyants pépères :

« Nous assistons à un spectacle qui paraît, au premier abord, paradoxal : des savants qui ont rejeté tout ce que l’Église considère comme formant le dépôt de la foi, prétendent cependant demeurer dans l’Église. »

L’Église est déjà une ONG chargée du contrôle social et de la moralisation publique :

« Aujourd’hui les catholiques sociaux voudraient que le clergé organisât des associations à la fois éducatives et économiques, propres à amener toutes les classes à comprendre leurs devoirs sociaux. L’ordre que les audaces du capitalisme troublent gravement, suivant leur petit jugement, arriverait à se rétablir.

En définitive, toute cette religion sociale manquait de valeur religieuse ; les catholiques sociaux songent à faire rétrograder le christianisme vers cette médiocrité. »

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Comme Huysmans, Sorel souligne la nullité de l’art chrétien (appétit de laideur, dit Huysmans). Reconnaissez-la, dessillez-vous enfin comme ces grands esprits :

« L’extrême bassesse de l’esthétique catholique actuelle gênera beaucoup toute tentative de renaissance religieuse. »

Sur la démocratie encore Sorel ajoute :

 « Il suffit de regarder autour de nous pour reconnaître que la démocratie est une école de servilité, de délation et de démoralisation.

Nous sommes descendus aux boniments électoraux, qui permettent aux démagogues de diriger souverainement leur armée et de s’assurer une vie heureuse ; parfois d’honnêtes républicains cherchent à dissimuler l’horreur de cette politique sous des apparences philosophiques, mais le voile est toujours facile à déchirer. »

La ploutocratie est plus dangereuse que l’aristocratie. Et pour cause :

« L’expérience paraît montrer que les abus de pouvoir commis au profit d’une aristocratie héréditaire sont, en général, moins dangereux pour le sentiment juridique d’un peuple que ne sont les abus provoqués par un régime ploutocratique ; il est absolument certain que rien n’est aussi propre à ruiner le respect du droit que le spectacle de méfaits commis, avec la complicité des tribunaux, par des aventuriers devenus assez riches pour pouvoir acheter les hommes d’État. »

La richesse est boursière, artificielle, déjà détachée de l’économie réelle. Sorel constate avant Gramsci et l’indice US à 22 000 :

« Dans la formation des grosses fortunes actuelles, les spéculations à la Bourse ont joué un rôle bien autrement considérable que les heureuses innovations introduites dans la production par d’habiles chefs d’industrie. Ainsi la richesse tend de plus en plus à apparaître comme étant détachée de l’économie de la production progressive et elle perd ainsi tout contact avec les principes du droit civil. »

Sorel établit alors une psychologie de la médiocrité moderne (pas besoin de Juppé ou de Lady Gaga) :

« Or, au fur et à mesure que nous avons considéré des régions dans lesquelles notre intelligence se manifeste plus librement, nous avons reconnu que la médiocrité exerce son empire d’une manière plus complète.

Ce que dans cette étude on a appelé du nom péjoratif de médiocrité, est ce que les écrivains politiques nomment démocratie ; il est donc démontré que l’histoire réclame l’introduction de la démocratie. »

À l’époque les râleurs ne sont plus les socialistes, récupérés par le système parlementaire, mais les anarchistes :

« Cette apologie de la démocratie n’est pas sans offrir des dangers sérieux ; elle a conduit à l’anarchie beaucoup de jeunes gens, il y a une vingtaine d’années… il a montré que les esprits étaient, en France, désireux de trouver de la grandeur ; il ne faut pas s’étonner si de nombreux anarchistes se jetèrent dans le syndicalisme révolutionnaire qui leur parut propre à réaliser de la grandeur. »

Et de terminer par un petit reproche à Karl Marx :

« La grande erreur de Marx a été de ne pas se rendre compte du pouvoir énorme qui appartient à la médiocrité dans l’histoire ; il ne s’est pas douté que le sentiment socialiste (tel qu’il le concevait) est extrêmement artificiel ; aujourd’hui, nous assistons à une crise qui menace de ruiner tous les mouvements qui ont pu être rattachés idéologiquement au marxisme. »

Souriez, ce n’est pas terminé !

vendredi, 22 septembre 2017

La culture protestante est-elle dominante en France?

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La culture protestante est-elle dominante en France?

Entretien avec Régis Debray et Olivier Abel

Ex: https://www.reforme.net

Les philosophes Régis Debray et Olivier Abel débattent de la synchronisation de la mondialisation avec la culture protestante américaine.

Pour quelles raisons estimez-vous que la culture protestante est aujourd’hui dominante en France ?

Régis Debray : Parce que le nouvel état des lieux qui règne dans notre pays, marqué par l’individualisme, c’est-à-dire la « désintermédiation », le contournement des institutions par l’accès à l’information, rencontre le rapport direct entretenu par les protestants avec la divinité.

Par ailleurs, la culture de l’émotion s’accorde assez bien avec le protestantisme évangélique. La nouvelle valeur du témoignage, qui a aujourd’hui la priorité sur la tradition doctrinale ou dogmatique, peut-être même une certaine désacralisation – à la fois de l’histoire et de la nature –, me conduisent à constater l’extraordinaire coïncidence entre la tradition protestante et notre postmodernité.

Olivier Abel : Cette intuition, qui me semble centrale dans les derniers livres de Régis Debray, peut surprendre un grand nombre de nos concitoyens. Mais elle a pour mérite de faire voir notre société sous un jour nouveau. Ce n’est pas seulement une réalité politique, mais la réalité de notre civilisation que Régis Debray nous encourage à regarder en face. Nous sommes à l’ère du témoignage, en effet d’abord corrélé au protestantisme évangélique, mais présent dans l’éthos de l’ensemble du monde protestant. Cela comporte un risque, je le dis tout de suite : la culture de l’immédiateté, du non-différé, la croyance d’être directement « branché ».

Mais Régis désigne aussi plusieurs aspects que les protestants plus classiques devraient revendiquer : le goût de la pluralité, l’idée que tout est profane, la prise en compte des populations déplacées, des migrations. Tout cela met en phase la civilisation occidentale actuelle avec le protestantisme.

Vous, Régis Debray, semblez associer la domination du protestantisme à un effondrement du politique. Or, les protestants ont porté et portent encore, un projet politique favorable à la République…

Régis Debray : Vous avez raison, la Réforme a permis l’intrusion de la rationalité dans la Révélation, c’est-à-dire une construction intellectuelle, rigoureuse, doublée d’une religion du cœur à la Rousseau ; l’herméneutique exigeante et le « vicaire savoyard » admirant la nature sont associés dans un élan commun. La minorité protestante a joué, pour cette raison, un rôle décisif dans l’assomption de la laïcité républicaine. En ce sens, le vieux républicain que je suis a toujours été reconnaissant à la tradition protestante d’avoir, beaucoup plus que les catholiques, suscité, soutenu l’effort républicain, notamment par l’école. Donc, nous avons historiquement une grande dette envers le protestantisme.

Quel sens donnez-vous à ce mot « protestantisme », aujourd’hui ?

Régis Debray : Le  protestantisme nous est parvenu par les voies commerciales du Nord. Je le sais, vous allez m’objecter les Cévennes, le Languedoc… Et vous n’aurez pas tort ! Mais ce qui me semble plus important, de nos jours, c’est le mouvement par lequel un certain protestantisme, émigré vers l’Amérique du Nord au XIXe siècle, nous revient comme en boomerang par le Sud.

Ce réchauffement climatique du protestantisme européen, par influence afro-antillaise, par le saxophone, la batterie, le synthétiseur, par la danse et la transe, me semble savoureux, inattendu et sous-estimé en France. J’ai voulu attirer l’attention sur un phénomène qui paraît illogique et qui, pourtant, ne manque pas de logique.

Que voulez-vous dire ?

Régis Debray : Encore une fois, je pense que le protestantisme répond très bien au désir d’hyperconnexion, de recentrement individualiste, mais aussi à la recherche d’une chaleur communautaire dont ont besoin nombre de gens tout à la fois déracinés et heurtés par le désenchantement du monde. Aujourd’hui, sur le plan géopolitique et culturel, deux religions dominent: l’islam d’un côté et les protestantismes (à dominante américaine) de l’autre.

Pour faire face, pour s’adapter à l’état des lieux, l’Église catholique se « protestantise » à toute vitesse. La décentralisation à laquelle François est en train de procéder en donne un extraordinaire aperçu. Au fond, le concile de Trente a perdu la bataille et, revenant à des sources prétridentines, l’Église donne pour ainsi dire raison à la Réforme.

Olivier Abel : Oui, Régis Debray, médiologue, attire l’attention sur la chaleur de l’autre monde protestant, en phase avec les formes actuelles de communication et laisse entendre aux « vieux protestants de France » que cette chaleur humaine peut leur apporter du bon. C’est une réponse forte à l’égard de ceux qui réclament la limitation de la religion à la sphère privée, sans voir qu’elle est un élément essentiel de toute civilisation, que le foot et les stars du music-hall ne sauraient remplacer durablement. Mais ne désespérons pas, observons ce qui se passe d’un peu plus près.

L’institution romaine est marquée par la filiation. La culture protestante est plutôt de type conjugal, au sens du libre accord, de libre alliance. N’est-ce pas aussi une forme d’institution ? Ne réduisons pas les religions à des contrats de for intérieur et sachons accueillir leur diversité.

Régis Debray : Olivier Abel a raison : il n’y a pas de transmission sans institution. Si la transmission s’oppose à la communication comme le temps à l’espace, pour passer de l’émotion d’un moment à une inscription dans le temps, il faut des institutions. Maintenant, nous assistons à une transformation des figures de l’autorité. La figure de l’autorité n’est plus le père – le Saint-Père, le père de l’Église, « mon père » comme on dit chez les catholiques. La figure de l’autorité la plus communément admise aujourd’hui est fraternelle ; et c’est précisément le modèle protestant, pour lequel il n’y a qu’un seul Père et il est aux cieux. On peut admettre que cela déstabilise un certain nombre de catholiques. D’autant plus, encore une fois, quand le pape lui-même suit cette pente et se pose avant tout comme l’évêque de Rome…

Olivier Abel : Je veux signaler que le protestantisme européen et le catholicisme européen sont plus proches, culturellement, que le protestantisme européen parfois ne l’est du protestantisme africain ou d’Asie du Sud-Est – pour ne prendre qu’un exemple.

Régis Debray : Voilà qui justifie que l’on pratique la géoculture ou la climatologie. Nous partageons, historiquement, un même climat, des mœurs, des habitudes, des plis qui outrepassent les divisions confessionnelles. L’apothéose du marché, de la réussite, de la prospérité, que porte aux nues le néoprotestantisme, peut inquiéter.

Le président de la République a été élève des jésuites avant de travailler auprès de Paul Ricœur. Est-il le « président-manageur » que vous décrivez, alors qu’il veut rétablir une autorité verticale ?

Régis Debray : Disons qu’il incarne un heureux mariage entre Machiavel et Paul Ricœur. Du premier, je crois – bien que je ne le connaisse pas personnellement – qu’il dispose du sens de la ruse, d’un certain dédoublement, sinon de la duplicité, propre aux politiques classiques. Du second, il paraît avoir appris une certaine exigence intellectuelle. Cela dit, je le crois plus butineur que producteur de miel. Mais enfin, il a eu le souci de butiner, ce qui est devenu rare au sein de notre classe politique. Lorsque j’évoque, à son sujet, l’américanité, je pense plutôt à son milieu.

Que signifie, pour vous, l’américanité ?

Régis Debray :  C’est la prise du pouvoir de l’économique sur le politique, la fusion entre le monde des affaires et celui du politique, les allers-retours entre le service public et le secteur privé, des pratiques dont on sait qu’elles sont monnaie courante dans le monde protestant.

Il me semble qu’Emmanuel Macron est le symptôme de cela, même si je lui concède qu’il a conscience de ses lacunes, de ses manques, ce qui l’entraîne à cultiver la symbolique du pouvoir, dont il sent bien qu’en France on ne peut pas se passer.

Olivier Abel : J’ajouterais qu’Emmanuel Macron n’est pas seulement lié à Paul Ricœur. Il puise aussi chez Habermas, Claude Lefort, d’autres encore. On peut se demander, parfois, dans quel ordre et de quelle façon tout cela s’articule en lui. Cherche-t-il à arrimer le politique au réalisme économique ? Ou bien cherche-t-il à réintroduire un sens du politique, une fonction du politique magistrale, au sein d’un monde dominé par l’économie ? Je me demande s’il n’existe pas un écart entre Emmanuel Macron et le « macronisme ». Celui-ci me semble très proche de ce que décrit Régis Debray quand il déplore le culte de l’entrepreneur de soi, l’idéologie de la capacité ; mais avec celui-là se niche un hiatus, j’en devine l’existence. Ceci étant posé, je veux rappeler qu’en pays protestant, notamment chez les Anglais et les Américains, la tradition politique est extrêmement forte. Il serait faux de réduire la culture anglo-saxonne au primat de l’économique.

Régis Debray : Oui, mais l’articulation à laquelle nous assistons en France depuis des années, entre l’économie et la politique, se fait « à l’américaine » et elle n’est pas étrangère au néoprotestantisme. L’idéal type du gagneur, de la start-up, l’idée qu’un pays est une entreprise qui doit être rentable, cette logique de management, de gestionnaire comptable, est typiquement américaine. Prenons un autre exemple si vous le voulez… Pour un républicain à la française, un président élu laisse son conjoint au vestiaire ; il n’y a pas de first lady. L’invasion du public par le privé, la charte de la transparence, un temps évoquée pour mettre en scène l’épouse du président, voilà des choses qui ne sont pas laïques pour un républicain classique et qui s’apparentent, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette, à une certaine culture protestante.

Pourtant, Angela Merkel , fille de pasteur, chancelière d’un pays dont la tradition protestante n’est pas discutable, ne met pas en avant son mari. On sait qu’il existe, qu’il accompagne son épouse au concert, mais il n’est pas un « first man »…

Régis Debray : Certes, mais elle est peut-être moins prisonnière de la vidéosphère qu’Emmanuel Macron. Je note chez notre président des façons de faire, depuis la main sur le cœur en écoutant la Marseillaise, petit mimétisme dont il s’est corrigé, jusqu’à la mise en scène de son épouse en passant par l’utilisation de la langue américaine – entre eux, les « Élyséens » parlent, par exemple, de « task force », il cède à l’atmosphère que j’appelle gallo-ricaine.

Olivier Abel : Attention : tout ce que vous dénoncez comme venu d’Amérique n’est pas seulement américain. Le progrès technique y tient sa part, qui l’emporte, même aux États-Unis, sur ce que Ricœur appelle le noyau éthico-mythique de chaque pays. La mondialisation est un patchwork.

Régis Debray : Il n’en reste pas moins que la mondialisation est standardisée selon des critères américains, ce qui est tout à fait normal puisque les Américains sont les inventeurs des nouvelles technologies qui organisent notre vie quotidienne, façonne notre imaginaire.

Olivier Abel : Ces nouvelles technologies sont aussi japonaises, et en portent l’imaginaire spécifique…

Régis Debray : Certes, mais le Japon – comme l’Allemagne – est entré dans la sphère américaine. Une civilisation dominante, ce sont des traits d’union entre un standard inventé par l’Empire et des cultures locales. Une bonne imprégnation suppose le respect d’un terreau local. Les Romains n’ont pas effacé la Gaule, mais ils l’ont épousée et formatée selon leurs normes.

Olivier Abel : Ce que vous dites est vrai, mais ne concerne pas seulement les civilisations dominantes. Une société n’existe que par des traits d’union. Toute forme de culture implique le croisement des racines, des origines, des traditions.

Régis Debray : Je suis d’accord, mais dans une alliance de ce genre, il y a toujours un formateur et un formaté. Que vous le vouliez ou non, nous sommes placés sous l’hégémonie culturelle américaine. Je ne prétends pas que cette hégémonie soit le fruit d’une volonté de nuire – je ne suis pas complotiste – mais je constate qu’elle dérive d’un nouvel état des techniques humaines : le cinéma, la musique, le numérique surtout, ce que j’appelle un état des lieux.

L’organisation de la marine à voile était britannique, celle du chemin de fer était française parce que portée par un État centralisateur. Aujourd’hui nous vivons sous l’empire du web, qui a vu le jour dans la Silicon Valley. Alors, parce que nous tenons à notre propre culture, nous essayons de la faire entrer dans le moule. Mais cela s’appelle la French Tech.

Propos recueillis par Frédérick Casadesus

À noter

Le Nouveau pouvoir
Régis Debray
Le Cerf, 112 p., 8 €.